Patrick Tambay
2 septembre 2013

Patrick Tambay et Renault : Les rêves envolés

1984. Patrick Tambay arrive chez Renault avec l’espoir de concrétiser à son compte les rêves de la Régie engloutis dans les brumes de 1983. Même si elle fut décevante sur le plan comptable, Patrick situe cette saison comme l’une de ses plus passionnantes en Formule 1.

Pierre Ménard

 

  

CC : Tout d’abord, rappelez-nous dans quelles circonstances vous signez pour Renault fin 1983.

PT : Lorsque Ferrari annonce après le Grand Prix d’Europe 1983 que René Arnoux fera équipe avec Michele Alboreto en 1984, je suis aussitôt contacté par Gérard Larrousse. Et je signe mon contrat dans la foulée. Je pars donc à Kyalami pour la dernière manche de la saison avec l’idée que je serai le coéquipier d’Alain Prost chez Renault l’an prochain. On en parle même ensemble, tout me semble clair, et je suis très heureux de faire équipe avec lui : je pense qu’on peut faire un bel équipage, il connaît bien la voiture, l’équipe, bref ça me fait vraiment plaisir de partager la destinée de l’équipe avec lui. Aussi, quand j’apprends son éviction quelques jours plus tard, je suis interloqué. D’abord parce que je n’en connais pas les raisons, puis parce qu’Alain est une valeur de référence. Pour le remplacer, le choix s’est alors très vite porté sur Derek Warwick et je n’ai pas eu à le regretter.

 

patrick tambay, pierre ménard, renault f1, gérard larrousseDe fait, vous endossez le costume de leader dans l’équipe ?

Ben, du fait qu’Alain n’était plus là, ça pouvait apparaître comme tel, mais ce n’était pas le cas. Je crois qu’on était considéré à égalité. Et nos relations avec Derek étaient tellement claires, naturelles et simples que la question ne s’est jamais posée. C’était un bon pilote et, humainement parlant, c’était quelqu’un de droit et d’une grande honnêteté intellectuelle. D’un grand fair-play, on pouvait lui faire confiance à 100%.

 

Comment s’est passée la mise au point de la nouvelle RE50 durant l’hiver ?

Renault avait pris la décision d’installer une base avancée sur le Paul Ricard où on était de permanence en quelque sorte. Il y avait une table de ping-pong dans l’atelier de la ligne droite du Mistral et on avait la cuisine de Bernard Canonnier qui était là. Quand la météo était mauvaise, on faisait des parties de ping-pong et on picorait, et quand ça se levait on faisait la mise au point de la 50. Lorsque j’étais arrivé chez Renault, j’avais négocié la venue avec moi de l’ingénieur d’exploitation Tomaso Carletti qui, comme il le faisait chez Ferrari, était en charge de ma voiture.

 

patrick tambay, pierre ménard, renault f1, gérard larrousseQuelles premières impressions retirez-vous de cette RE50 ?

Son plus gros défaut, pour moi qui venais de chez Ferrari, était sa boîte de vitesses. Son système technique était surdimensionné, et on a passé énormément de temps à essayer de faire évoluer la qualité de vitesse de passage des rapports. C’était une boîte Hewland adaptée aux dessins de l’engineering Renault qui ressemblait plus à une boîte d’endurance que de F1. C’était pas de l’horlogerie fine comme la transversale de chez Ferrari où on pouvait changer avec deux doigts en restant quasiment à fond, qui était vraiment une merveille ! J’ai beaucoup galéré avec cette boîte au début.

 

Lors de vos deux premiers grands prix, les soucis se situent plus au niveau du réservoir : vous rentrez à pieds à cause d’une panne d’essence dans les derniers tours.

Ça nous a handicapé une grande partie de la saison, hein ! Pour mémoire, la nouvelle réglementation stipulait qu’on ne pouvait plus embarquer que 220 litres d’essence, et chez Renault on n’avait pas la capacité de régler la puissance, donc la consommation, de manière optimale. Ils avaient adapté un débitmètre mécanique sur le système d’alimentation, avec des petites molettes munies de chiffres qui tournaient. Ça paraît désuet et peu professionnel avec le recul. Notre gros problème face au TAG de chez McLaren est qu’ils avaient un débitmètre électronique, le Motronic Bosch, qui était plus performant. La différence s’est faite là.

 

Mais le V6 et le châssis, ils étaient comment ?

Au niveau du châssis, si je compare avec la 126 C3 Ferrari, il était moins confortable et plus raide à conduire, mais il restait agréable. Le moteur était bon. Hormis la boîte, tout le reste était très compact, très uni, avec un avant et un arrière efficaces, il n’y avait pas de faiblesses. Non vraiment, ma bête noire, c’était la boîte de vitesses.

 

Pour revenir aux problèmes de consommation, Renault inaugura en toute fin de saison un tout nouveau système de gestion électronique élaboré par Renix, mais il était bien trop tard. N’était-ce pas là aussi une faille dans cette équipe, un temps de réaction bien trop long ?

Je pense que c’était peut-être dû à un manque de détermination, ou de volonté…

 

Est-ce que ce n’était pas aussi un manque de réalisme vis-à-vis de l’approche de la course, à l’inverse du pragmatisme des Anglais ?

Ah mais la différence, elle se fait là. Il y avait une lourdeur, un manque de dynamisme de l’ensemble. Je ne le ressentais pas particulièrement à cette époque parce que je n’avais alors pas de notion de management. Ce que je regrettais amèrement, c’était les victoires ou les podiums perdus pour des problèmes à trois francs six sous, aussi bien pour Derek que pour moi d’ailleurs. sans parler naturellement de ces fameuses pannes d’essence. On avait un réel potentiel avec cette voiture si le moteur était resté exploitable comme l’année précédente. Mais là, c’était plus faisable : c’est pas en pissant dans le réservoir qu’on aurait pu terminer les courses ! J’abandonne deux fois en début de saison avec le podium en vue, à Rio et à Kyalami, parce qu’il me manquait de l’essence dans le réservoir. On subissait une réglementation parce qu’on n’avait pas la technologie pour s’y adapter. L’équipe fonctionnait à son rythme, suivant un planning établi, et il n’y avait pas de surchauffe suite à une crise. Quand on a ce genre de problème, il y a une cellule de crise, on essaie de trouver des solutions. Là, les solutions envisagées c’était du genre : « Bon, on va essayer d’évaluer le niveau de performance qu’on a en essais par rapport à la charge de suralimentation et puis on va mettre -0,5, -0,7… ». C’était en fait les ingénieurs qui faisaient l’évaluation de la puissance du moteur par rapport à ces220 litres. Alors que chez McLaren, le Motronic faisait une analyse précise et les pilotes avaient ensuite à gérer la puissance via la suralimentation pour ne pas tomber en panne d’essence. En plus, la McLaren avait un super châssis.

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Vous faites la pole à Dijon lors du Grand Prix de France, vous menez une grande partie du GP, mais… les freins cette fois !

Oui, je ressens du « knock off » dans la pédale, peut-être dû au passage d’une bordure, je ne sais pas. Je suis donc obligé de pomper avant de freiner pour éviter que la pédale n’ait trop de course et pour remettre de la pression dans le circuit. Ça complique donc les choses : il faut lever avant le virage, pomper, et puis freiner. Et sur la remontée, je me loupe une fraction de seconde, mais ça suffit à Lauda qui était derrière moi pour me passer.

 

Autre victoire manquée, à Monza où vous êtes sur le point de gagner la course et… c’est le câble d’accélérateur qui lâche.

Ah p… Monza !(soupir)… Il y avait des guillotines à l’époque. Le câble circulait et faisait une sorte de coude. Chaque fois qu’on levait le pied, une sorte de cisaillement se faisait et j’avais de plus en plus de mal avec la pédale d’accélérateur qui se grippait et se bloquait dans telle ou telle position. Jusqu’au moment où il a pété juste devant les stands ! Alors que j’avais course gagnée. Quoique, allez savoir : je serais peut-être tombé en panne d’essence (rires)…

 

En 1984, cette équipe Renault semblait avoir un gros potentiel, gâché par de petits problèmes aux grands effets ?

C’est un peu l’histoire de l’équipe Renault : en 83, en 82, ils auraient déjà du gagner les championnats. Mais des problèmes de rondelle à dix centimes, de pompes à essence défectueuses, un manque de fermeté dans la stratégie d’équipe ont condamné tout ça. En 84, c’était la boîte et la conso. Côté suspensions, aéro, grip mécanique, la voiture était dans le coup, il n’y avait pas de soucis. 

 

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Il y a quelque temps, vous m’aviez dit que cette année Renault 84 restait néanmoins comme une de vos belles années de F1.

Oui parce que j’étais sur la même synergie qu’avec Ferrari en 1983, mais des problèmes techniques nous ont pourri la vie à Derek et à moi. Puis certainement aussi aux ingénieurs et à l’encadrement. On n’a tout simplement pas été assez pointu pour se hisser à la hauteur de McLaren. 

 

Comment abordez-vous 1985, avec le départ de Larrousse notamment ?

Mal. Gérard cédait sa place à quelqu’un [Gérard Toth, NDLA] qui n’avait aucune compétence en matière de sport automobile. C’était peut-être un bon manager d’entreprise, mais pas un directeur sportif d’une équipe de F1. Il n’y avait pas de réelle stratégie ni de vraie volonté sportive affichée. Et puis on savait par des infos en sous-main que ça serait la dernière année. On a donc creusé la tombe tous ensemble. C’était difficile d’être motivé et, pour ne rien arranger, la RE60 n’était pas terrible. Ce qui fait dire quelque part que la 50 était une bonne auto. Pour nous, c’était de toute façon clair et net : à la fin de la saison ce serait terminé, donc il faudrait trouver autre chose ailleurs.

 

Propos recueillis par Pierre Ménard

 

 

Légendes photos :

 

CC Tambay Renault 1

Gérard Larrousse & Patrick Tambay 1984 ©Archives Patrick Tambay

 

CC Tambay Renault 2

GP du Brésil 1984 ©LAT Photographic

 

CC Tambay Renault 3

GP d’Afrique du Sud 1984 ©LAT Photographic

 

CC Tambay Renault 4

Podium GP de France 1984 avec Lauda et Mansell ©LAT Photographic

 

CC Tambay Renault 5

GP D’Italie devant Patrese et Lauda ©Archives Patrick Tambay

 

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