C’était le temps de l’alternance, de Silverstone ET Brands Hatch, de Charade ET du Paul Ricard, de Pompidou ET Poher, de Jarama ET Barcelona Montjuich. Après des années de strapontins sporadiques, l’Espagne tenait enfin son fauteuil d’orchestre dans le grand spectacle de la Formule 1 avec, cerise sur le gâteau, deux circuits à offrir au monde.

 

             Montjuich, Pierre Ménard, Mémoires de stands

 

D’un côté un tracé permanent récemment sorti d’un plateau pelé au nord de Madrid, moderne et sécurisé, mais s’apparentant plus à un circuit club qu’à autre chose. De l’autre, une montagne russe tracée dans la luxuriance végétale et architecturale du Parc de Montjuich surplombant la capitale catalane, avec un dénivelé pas piqué des hannetons et des enfilades rapides où il valait mieux savoir régler une auto au meilleur d’un compromis imposé par la topographie des lieux. C’est ce qui me revient en mémoire en ce beau week-end du mois d’octobre alors que je descends, Nikon au poing, la pente sinueuse et prononcée qui suit l’épingle de Miramar. Quand on s’est tapé auparavant l’interminable ligne (pas droite) des stands qui remonte depuis Sant Jordi jusqu’au freinage de Miramar en passant par la bosse traîtresse de l’Estadio, on se dit que les pilotes de l’époque ne volaient vraiment pas leurs dollars !

 

C’est bien ça qui l’a perdu d’ailleurs, ce fichu Parc de Montjuich : une sécurité bien trop aléatoire pour débouler à plus de 250 km/h entre des rails plus ou moins bien boulonnés sur une tracé où le mot terrassement n’était pas prévu au cahier des charges. Vous me direz, Monaco et le Ring de l’époque n’étaient pas non plus faits pour les estomacs mal accrochés. Mais le Rocher et l’Eifel, c’étaient des monuments historiques classés. Le Montjuich…

 

Montjuich, Pierre Ménard, Mémoires de standsDès la première édition en 1969, le tracé catalan avait prévenu : les deux Lotus s’y brisèrent les ailes, et Rindt faillit y laisser son visage, à défaut de sa vie. La fameuse bosse de l’Estadio ! Six ans plus tard, c’est encore elle qui fera décoller l’Embassy-Hill de Stommelen privée d’aileron arrière. Quatre morts, une bonne dizaine de blessés de l’autre côté des rails. Après la pantalonnade des essais tronqués suite au sérieux différend entre les organisateurs et les pilotes sur le (mauvais) montage de ces rails, le sort du Montjuich était définitivement scellé ! On irait se frotter les jantes en toute sécurité à Jarama (et encore : un quadruple champion du monde pourrait vous dire avec une réelle frayeur rétrospective qu’il est passé à côté du grand saut sur le petit autodrome castillan !).

 

On ne pourra jamais blâmer des pilotes de refuser de courir sur un tracé jugé inadapté : c’est quand même eux qui se mangent le rail au cas où ça ne veut pas tourner. On ne peut malgré tout s’empêcher de penser que ces tracés de la mort exhibaient souvent un charme vénéneux auquel le simple spectateur ne savait résister. L’air tiède de l’automne catalan me fait profiter sereinement de cet environnement paisible qui fut autrefois brûlé par la frénésie mécanique. Je suis des yeux la jolie Barcelonaise en jupette sur son petit scooter rutilant négocier prudemment le virage de Rosaleda avant de descendre tranquillement vers Font del Gat et le Pueblo Sec en contrebas. J’ai soudain en tête le bruit d’un Cosworth rageur qui encaisse un à un les rapports à la montée et j’imagine une fusée bleue et blanche à l’aileron haut perché dévaler la pente dans un tonnerre assourdissant, le casque blanc à tartan ondulant à peine au-dessus du cockpit.

 

 

Montjuich, Pierre Ménard, Mémoires de stands

C’était ça Barcelone Montjuich : du saute-mouton à plus de 200 km/h au milieu de cette verdure méditerranéenne et de ces palais plus hispanisants les uns que les autres, avec interdiction formelle de tutoyer les extérieurs sous peine de problèmes graves. Tracé attractif, mais ô combien dangereux. Il ne reste quasiment plus rien de ce passé tumultueux, si ce n’est les larges avenues aujourd’hui fréquentées par les cars de touristes. Le visiteur attentif repèrera néanmoins dans le bitume avant l’épingle de Miramar quelques vestiges des puits métalliques destinés à recevoir des rails de sécurité. Ces rails mal boulonnés qui ont tant fait couler d’encre lors de la dernière édition du Grand Prix en 1975…

 

Pierre MENARD

 

 

1 – Barcelona Montjuich, Estadio © Pierre Ménard

2 – Barcelona Montjuich, Mémoire des Rails © Pierre Ménard

3– Barcelona Montjuich, Palacio de Agricultura © Pierre Ménard

 

* : publié en 2008 sur le site Mémoire de stands

 

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