Patrick-Tambay-Gilles-Villeneuve
7 juin 2013

Patrick Tambay Interview : « Vince per Gilles »

Il y a trente ans, Patrick Tambay remportait le Grand Prix de San Marin à bord de la Ferrari n°27 . Dans l’esprit des tifosi, mais pas seulement, il restituait à Gilles Villeneuve sa victoire manquée de l’année précédente. Une victoire en F1 n’est jamais anodine, mais le contexte que nous décrit Patrick Tambay avec acuité, la rend tout à fait exceptionnelle.

Olivier ROGAR

Patrick Tambay Imola 1983
Grand-Prix-de-San-Marin 1983-Patrick Tambay Podium @ DR

Classic COURSES : Patrick Tambay, Quels souvenirs avez-vous du Grand Prix de San Marin  1983 ?

Patrick Tambay : C’est tout simplement l’une des deux courses les plus importantes de ma carrière…Il y a parfois des courses que l’on ne remarque pas, qui ne se concrétisent pas par des résultats mais qui sont des courses importantes. Là, Imola 1983, restera, pour moi, et pour tous ceux qui l’ont vécue, une course chargée de signification, chargée d’émotion, de symbolique. Elle fait partie de l’histoire de Gilles Villeneuve, de l’histoire de Ferrari et de mon histoire. C’est une course qui a marqué beaucoup d’esprits… C’est une longue histoire…

Qu’est-ce qu’on attend de vous ?  

Patrick Tambay : Chez Ferrari, vous avez toujours le sentiment que quelque chose de plus est attendu de vous. C’est probablement l’écurie qui m’a autant insufflé ce sentiment  d’attente, de volonté  de performance, de potentiel, d’implication, de «  commitment », un ressenti d’être investi d’une mission beaucoup plus que chez McLaren, Renault ou Ligier… Lorsque vous « endossez » la combinaison rouge, lorsque vous conduisez une voiture rouge, des centaines de milliers de personnes sont derrière pour vous soutenir, pour soutenir cette écurie, cette voiture, vous sentez que vous avez un exploit à accomplir.

Dans cette ambiance, fatalement, vous vous transcendez comme nulle part ailleurs ! Autour de vous, les gens sont viscéralement impliqués eux mêmes dans cette équipe de par leurs origines et leur vie familiale,  du moins à l’époque c’était comme çà, avec des mécaniciens du cru, de Modène et de sa région, des jeunes, des vieux, des grands-pères. C’était une entreprise familiale – ce qui est moins le cas aujourd’hui –  qui était considérée comme une entreprise modenaise, de Maranello, de Fiorano et de toute la région. Hormis Postlewaithe qui était  un des premiers membres extérieurs à oeuvrer, le personnel était composé de gens du cru, chacun et tout le monde étant en mission, dévoué corps et âme à la marque… 

Des générations qui toutes ont évolué dans le sérail !

Patrick Tambay : Oui, avec un seul objectif en tête ! Une vie quasiment monacale ne tournant qu’autour de la Ferrari et des relations qui les unissent. Car ils sont parents, cousins et, que ce soit au département commercial ou au département course, totalement marqués par l’esprit du cheval cabré. Cela part du Curé  du village qui va venir sonner la victoire ou bénir les voitures avant qu’elles ne partent, au gardien du circuit qui enregistre tous les temps au tour de toutes vos séances d’essais…Et puis, il y a le site même du circuit de Fiorano qui était doté d’un petit stand dans lequel se trouvaient une télévision, une table et une chaise pour le Commendatore quand il venait, après son repas, assister aux essais de l’après-midi.

Quand vous rentriez dans la petite maison aux volets rouges n°27, un sanctuaire, en ouvrant la deuxième porte à droite, vous accédiez au vestiaire des pilotes avec des casiers métalliques, du caillebotis en bois au sol ; arrivé là, vous pouviez sentir que vous vous trouviez dans un lieu qui avait vu passer avant vous, tant de grands « personnages » de l’Histoire de la course automobile. Dans cet endroit, vous perceviez comme des présences, ce lieu étant encore « habité » par ses illustres visiteurs. En montant à l’étage où s’étendait la galerie des Trophées et des portraits, vous pouviez ressentir tout le poids de l’Histoire Ferrari,..Mais tout cela a été détruit, je crois, pour en faire l’appartement de Michael Schumacher. C’est vraiment dommage. Tout devrait être remis en l’état !

Pour vous resituer dans cet avant course, y-a-t-il une attente particulière vis-à-vis de vous ?

Patrick Tambay : Nous sommes en début de saison, et ça se passe plutôt bien. Malgré tous ces drames, la saison 1982 s’était bien passée sur le plan sportif ; nous sommes Champion du Monde des Constructeurs. Elle aurait pu se passer beaucoup mieux pour moi, mais pour des raisons diverses et variées, notamment du fait d’erreurs de gestion de ma condition physique par un mauvais kiné…qui, par une mauvaise manipulation et des exercices d’étirement, m’a détruit le muscle du grand dentelé sous l’épaule droite. La course : parce que nous allons sur le circuit Dino Ferrari, parce que c’est à quelques kilomètres de l’usine, parce que c’est une course à domicile, devant toutes les familles et le personnel de l’usine, on part sur cette course avec une tension accrue, une détermination plus forte… qu’à Monza par exemple!

Imola 1983
Grand-Prix-de-San-Marin 1983-Grille de départ @DR

Donc à ce moment là, vous vous sentez investi, plus particulièrement que sur un autre Grand Prix ?

Patrick Tambay : Il y a une part très importante de l’histoire de Gilles Villeneuve dans cette course. L’histoire entre Gilles Villeneuve et Didier Pironi. Cette  histoire qui remonte à 1982 et à ce qui s’est passé entre eux et la direction sportive de Ferrari à ce moment là et qui aura de graves conséquences. Il y a eu mésentente ou désobéissance de la part de Didier par rapport à ce qui était convenu dans une situation sportive, technique qui était telle, qu’il était décidé qu’on figerait le classement à la fin de la course et que les pilotes resteraient sur leurs positions…ce qui ne fut pas le cas!

Gilles s’est senti volé de cette victoire et cela a gravement entaché les relations. Lui qui était très, très honnête, très fair-play dans ses relations avec ses équipiers, très rigoureux, très respectueux dans son engagement personnel,  même si pas nécessairement professionnel ou dicté par l’équipe. On se souviendra surtout de 1979, des relations amicales et sportives qu’il avait avec son coéquipier Jody Scheckter. Lors de plusieurs courses qu’il aurait pu remporter, il est resté sportivement et respectueusement derrière Scheckter. C’est ainsi qu’ils ont remporté le titre de Champion du Monde des Constructeurs et Scheckter celui des pilotes.

Alors, à l’issue de cette course de 1982, s’installaient un gros contentieux, une grosse déception humaine, une grosse rancœur de la part de Gilles à l’égard de Pironi, qui se sont transportés sur la course de Zolder quinze jours plus tard.

Il y avait une concurrence énorme au sein de l’équipe, qui a fait que Gilles a peut être un peu perdu le contrôle de la situation en étant peut être sur-motivé pour essayer de battre le chrono de Didier dans une ultime tentative à la fin des essais. Il a donc pris tous les risques et a rencontré devant lui Jochen Mass…

Et une année plus tard…

Patrick Tambay : On se retrouve une année plus tard sur ce site, le lieu d’où tout est parti…Et je suis qualifié troisième.  La place même qu’occupait Gilles l’année précédente. je ne fais pas tout de suite le rapprochement…Sur la grille, au niveau de cet emplacement, sur le box jaune, les tifosi ont peint  « Tambay vince per Gilles » et devant, sur la piste,  est peint un drapeau canadien . Et des calicots, il y en a partout autour du circuit. Un monde fou, Tamburello, Acqua minerali, Tossa, des calicots  avec des « Tambay vince per Gilles », des « René, Patrick, vince per Gilles » des drapeaux canadiens… Les photos, les films viennent le confirmer, la Tossa, les collines, sont rouges, rouges, rouges…partout des banderoles faites à la main, de tous les côtés. Cette multitude, cette foule… C’était absolument incroyable !

Je suis en troisième position sur la grille ; quand j’arrive sur mon emplacement, je vois le drapeau canadien, je reste à bord de la voiture, je ne descends pas de la voiture car à ce moment là je suis submergé par une vague d’émotion impossible à  contenir et je me mets à chialer…

On descendait généralement de la voiture pendant vingt minutes avant le départ, pour se détendre. Mais cette fois là je suis resté assis dans la voiture tout le temps, en sanglots. Les mécaniciens autour de moi se sont écartés, gênés, ils ont fait cercle autour de l’auto et personne n’est venu me perturber ni me poser quoique ce soit comme question. Franchement, j’étais à cet instant dans une situation psychologique où je me disais « Ce n’est pas possible, je suis tellement ému, touché, impressionné, que je ne vais pas réussir à récupérer ma concentration, à être capable de prendre le départ, à faire cette course, ce n’est pas possible ».

Choc émotionnel ?

Patrick Tambay : Et puis cinq minutes avant, ça a commencé à revenir, j’ai pu me mettre en mode concentration et j’ai pris mon départ normalement derrière René Arnoux qui était en pôle. Piquet, qui était à droite, a calé sur la grille, Patrese qui était derrière est parti troisième et moi j’ai pris le départ en arrière de ma position pour ne pas stationner sur le drapeau canadien et sur le message passé au pilote de la n° 27….

Et la course se déroule avec les différents problèmes des uns et des autres. René brûle ses pneus un peu plus vite que moi donc je reste en piste un peu plus longtemps et je prends le relais en tête. On est passés par Patrese. Puis en milieu de course en passant Tambourello, il y a un problème d’alimentation en essence qui fait que la voiture s’arrête. Elle coupe.  (bruitage de la classique panne d’essence)  Mais elle reprend et à tous les passages, elle s’arrête et elle repart…. Juste à cet endroit. Pas d’explication définitive. Si bien que Patrese qui a vingt secondes de retard suite à un mauvais ravitaillement, me les récupère puisque mon moteur s’arrête à chaque fois. Il va me passer.

Et à chaque tour dans la course, il y a cette coupure, je me dis que je ne vais pas finir. Je suis en tête mais je ne vais pas la terminer…. Mécaniquement je ne peux pas finir, ce n’est pas possible avec un moteur qui coupe comme ça. Je ne vais pas finir c’est impossible…. Et au moment où je pense ça, je prends un « pet » dans le casque «  Bang ! » comme si j’avais pris un oiseau ou une caillou…? Ca me réveille et ça m’oblige à  me reconcentrer. Le tour d’après je regarde par terre, pas de trace d’oiseau, ni de trace de contact, rien du tout….Mais le « pet »  m’a réveillé au moment où j’avais une pensée négative…et je m’applique sur le reste du circuit où tout fonctionne normalement…..A six tours de l’arrivée, Patrese me rejoint et me passe dans ce fameux virage, alors que mon moteur coupe encore et toujours!. 

Pourtant il semble avoir du mal à vous passer.  Sa voiture part dans tous les sens au freinage.

Patrick Tambay : Oui, ça doit être un freinage tardif et moi j’ai repris de la vitesse parce que le moteur refonctionne normalement  après la coupure. Une coupure d’alimentation pendant une fraction de seconde, ça fait perdre du régime et de la vitesse de pointe et il me dépasse dans la ligne droite vers la Tosa sans difficulté….

Accélération de la Tosa, le gauche de Piantarello et on descend vers Acqua minareli, je suis à deux longueurs derrière Patrese. Il doit regarder dans son rétroviseur, je ne sais pas ce qu’il fait mais il sort de la piste… J’ai trente ou quarante secondes d’avance sur René Arnoux parce que lui fait un tête à queue au même endroit que là où Patrese est sorti. Y avait-il de l’huile, est-ce que la trajectoire extérieure était sale ? Je ne sais pas mais il y avait un piège. Dernier tour. Je passe devant le drapeau à damier, dans Tambourello, ça hésite à nouveau et ça repart et j’arrive à l’Acqua minerali et là ça s’arrête complet, moteur en rideau. Fini…

https://youtu.be/_aj2w_ok0BY

Ca a du être quelque chose !

Patrick Tambay : A ce moment là, c’est la folie générale. Ils sautent par-dessus les grillages, ils m’attrapent et me jettent en l’air, ils essaient d’arracher mes badges, d’arracher mes gants, mon casque… Arrivent les carabiniers et je mets pas mal de temps à rejoindre le podium où deux autres français m’attendent, René et Alain Prost.

Et c’est les tapes dans le dos qui commencent, « tu l’as vengé, tu l’as vengé, tu l’as vengé ! ». La folie partout….Peu leur importe que Patrese soit sorti de la route, pour eux, ce qui comptait c’était qu’une Ferrari ait gagné. Pas spécialement la mienne mais la n°27, celle de Gilles. Moi j’avais pris le relais et ils avaient compris que j’avais un immense respect pour Gilles, ils avaient compris ma mission, mon positionnement par rapport à Gilles et quelque part ils avaient compris aussi que c’était une course magique et qu’il fallait que les choses soient remises en ordre. Et elles l’étaient par cette victoire…

Et moi je reste persuadé, et encore aujourd’hui, que j’étais à un moment donné  dans la crainte de perdre cette course et que j’ai été tapé sur le casque par quoi, par qui et pour quoi? Pour me re focaliser sur la course, que rien n’était encore perdu, qu’il fallait continuer d’attaquer…C’est exactement l’état d’esprit dans lequel j’ai été à ce moment-là et dans lequel je suis encore aujourd’hui. Je pense que ce rappel à l’ordre était, j’allais dire « surnaturel », quitte à passer pour un illuminé….

Patrick Tambay Imola 1983
Grand-Prix-de-San-Marin 1983 @ PH Cahier

Alors est-ce que je voulais voir ça ? Toujours est-il qu’il s’est passé quelque chose….Pourquoi au moment où j’ai eu cette faiblesse sur la mécanique, j’ai eu ce coup sur le casque qui « déclenche » cette re-analyse de la situation me rappelant qu’il faut rester appliqué, concentré, que la course n’est pas finie et que tout peut encore arriver….Et après vous avez Patrese qui revient, me passe et sort devant mes roues… Tout un ensemble de choses… Ces gens qui témoignent, qui crient  » Tu l’as vengé… » Et plus tard quand je rentre à l’hôtel, j’ai un appel de Johanne Villeneuve qui me dit «  tu l’as vengé »….Un Grand Prix incroyable…!!!

C’est le mot qu’elle utilise ?

Patrick Tambay : Oui. «  Tu l’as vengé ». Mais elle n’est pas la seule à utiliser ce mot. Les spectateurs, son équipe de mécaniciens qui s’étaient sentis trahis eux aussi…..

Y – avait – il eu scission entre les deux équipes de mécaniciens suite à Imola 82 ?

Patrick Tambay : Non, non. Je ne peux pas parler pour eux car je ne le sais pas. Mais ils étaient tellement unis derrière leur équipe…. Encore aujourd’hui lorsqu’on parle avec des retraités, aucun d’entre eux ne mettra en avant une erreur de management. Ils ont beaucoup trop de respect pour la maison, pour la marque….même s’ils le pensent!

Et quelle a été la réaction d’Enzo Ferrari après une victoire comme celle-ci, Patrick Tambay  ?

Patrick Tambay : Il m’a été dit, par son assistante personnelle,  que même lui aurait versé une larme.

Etait – il dans ses habitudes d’appeler le pilote après une victoire ?

Patrick Tambay : Oui. Après chaque course il y avait une communication avec le Commendatore. , quelques minutes, un rituel. C’était une sorte de débriefing à chaud, quelle que soit la situation. Je ne fais pas le distinguo entre victoire ou pas. C’était une habitude, un rite.

Vous gagnez à San Marin, Arnoux est très présent puis gagne trois courses.

Patrick Tambay : Arnoux n’est pas en forme en début de saison. Il ne le devient qu’au milieu de saison à partir d’ Hockenheim, en Autriche, au Canada.

A Monaco nous commettons une erreur, je veux partir en pneus slicks. Il y a eu une averse mais je sais que ça va sécher. Et Forghieri me dit qu’il faut partir avec les mêmes pneus que Piquet et Prost parce qu’on est en bagarre avec eux au championnat. Il faut les marquer et faire les mêmes choix. Le seul à partir en slicks est Rosberg, il va gagner la course. Et moi quand je passe en slicks, je mets records du tour sur records du tour. Et je finis quatrième. Je suis sûr qu’avec les slicks au départ de cette course, j’aurais gagné.

Après à Hockenheim, René commence à être performant. On est Un et Deux et je suis dans le raisonnement suivant : Est-ce que je le suis ou est-ce que je le laisse filer. C’est dans la ligne droite du retour. Je m’en souviens très bien.

Pourquoi pensez-vous à ça ?

Patrick Tambay : Parce que je veux qu’on adopte une stratégie d’équipe et qu’on me donne la préséance. Depuis fin 1982 et le début de saison 1983 jusqu’à Hockenheim, je marque pratiquement des points à chaque course et je suis sur les podiums. Et je suis leader de l’équipe. Je me demande alors si je dois persévérer dans ma stratégie de finir les courses ou si je dois entrer en bagarre avec lui et aller le chercher…?

Et je vais le chercher. L’orgueil prend le dessus. Il attaque, il tire sur le moteur. Je le remonte. Et mon moteur casse. Premier moteur. Grand Prix suivant Autriche. Je suis en tête de la course. J’arrive sur un retardataire, en l’occurrence Jarier, dans les deux double-gauche. Je suis trop prudent. J’attends de sortir du gauche pour le passer et je me fait prendre à l’intérieur par deux voitures. Puis mon moteur casse. Je me fais passer par Arnoux au championnat.

Série noire ou autre chose ?

Patrick Tambay : Je ne me souviens pas de toutes les courses. Mais après il y a le Grand Prix d’Europe à Brands Hatch. Je suis second, largement devant lui et j’ai un problème de maître cylindre de freins, une fuite de liquide…Plus de freins sur un des circuits. J’arrive à Druids. Je tire tout droit….

Le lundi matin Forghieri doit prendre l’avion de Gatwick. Suite à un problème technique le décollage est retardé. Il arrive à Fiorano dans l’après midi alors que la réunion de débriefing de l’équipe vient de s’achever. A ce moment il y une décision à prendre. Alboreto arrive dans l’équipe. Il faut choisir entre Arnoux et moi. Forghieri n’étant pas là, la décision est prise. Je dois partir. Gozzi, le spécialiste presse chargé de la communication parle à un journaliste de la Gazetta dello Sport qui m’appelle. Avant que je n’ai eu quiconque. Et me l’annonce. Un peu plus tard Piccinini m’appelle. Je l’arrête en lui disant que je suis au courant parce que la presse m’en a parlé et que je ne trouve pas ça très élégant.  «  Ma tou sé comment cé »…On s’est revu depuis.

J’ai entendu parler d’une finale de Rolland Garros aussi ?

Patrick Tambay : A l’époque il y a eu un incident assez cocasse. Il y avait le Grand Prix à Detroit et le même week-end il y avait la finale de Yannick Noah à Roland Garros. Le décalage horaire faisait  que nous terminions le warm up. A la suite de quoi, il y a avait le briefing des pilotes. Puis le briefing des pilotes Ferrari. Immuable : « On ne fait pas la guerre ensemble, on ne s’accroche pas, quand on est en position stay, on y reste etc… » du classique.

Je suis bien allé à la première réunion. Si on n’y allait pas on avait une amende. Mais pas la seconde. Piccinini me cherchait partout. Il était très mécontent, il n’avait que René. Quand j’ai réapparu, il m’a demandé où j’étais passé. Le fait que je lui réponde que j’étais dans ma chambre pour regarder la finale de Roland Garros avec Yannick Noah ne lui a pas plu du tout.  J’avais des relations normales avec tout le monde mais je n’ai jamais été ni un courtisan, ni un politique, ni un opportuniste….encore aujourd’hui d’ailleurs!

Grand-Prix-dAllemagne-1983 @-DR

Lorsqu’à Hockenheim, vous décidez d’attaquer Arnoux, est-ce pour vous prouver quelque chose à vous-même ou pour prouver quelque chose aux autres ?

Patrick Tambay : Probablement pour me prouver quelque chose et pour ne pas perdre de points importants. La logique aurait voulu – en fonction du classement au championnat – qu’on définisse une stratégie d’équipe. Comme il aurait fallu le faire entre Didier et Gilles. Ce flou va durer des années. L’ordre sera mis en place par Jean Todt avec Schumacher et ses coéquipiers. Et une stratégie claire de numéro Un et numéro Deux. Si on avait fait ça en 1983 il n’y aurait pas eu de problème. Pareil chez Renault en 1982. Se souvenir des bagarres en interne entre René et Alain.

J’étais dans une stratégie de régularité, de finir des courses, de marquer des points et de gérer cela par rapport au championnat. Et à cette course, d’un coup j’ai changé de stratégie, je me suis piqué au jeu, j’ai voulu y aller « devant ». J’aurais terminé ma saison de la même manière que je l’avais commencée, j’aurais probablement eu beaucoup plus de chances de gagner le championnat. 

Je me suis déstabilisé. Je regrette de ne pas avoir eu un agent ou un manager qui me permette de me focaliser sur chaque course.

Si on revient à la saison 1982, après le Grand Prix d’Allemagne, du fait de l’accident de Didier Pironi, Patrick Tambay est seul pilote dans la Scuderia pendant plusieurs Grand Prix. Est-ce que ça a compromis vos chances de remporter le championnat ?

Patrick Tambay : J’arrive dans une situation où l’équipe [à la suite du décès de Gilles Villeneuve] a pour leader Didier Pironi, également en tête du championnat. Je n’ai pas des antécédents extraordinaires. Ca ne s’est pas très très bien passé, sauf en 1977 en Autriche où je fais la course avec l’Ensign au milieu des deux Ferrari de Reutemann et Lauda. A la suite de quoi le Commendatore veut me voir pour parler de la saison 1978. Encore une autre histoire….!!!

Première course je fais huit. Deuxième course je fais trois. Et il se trouve que tout à coup, avec du bon matériel et avec une équipe qui me fait confiance je suis capable de rouler aux avant-postes. France, quatrième.

Hockenheim, l’accident de Didier. Le samedi soir, Franco Lini et Mauro Forghieri viennent à moi et me disent : « Maintenant tu arrêtes de te considérer comme un numéro deux et comme un  porteur d’eau c’est toi notre numéro Un ». Le lendemain je fais ma course. On part avec un plein d’essence. On doit changer de pneus. Piquet part sur une stratégie d’un changement de pneus et remet de l’ essence. Il s’accroche avec Salazar et je gagne la course.

Là, il se passe quelque chose. Je me dis alors que j’ai l’équipe, le matériel. J’ai ma place. J’aimerais gagner en partant devant, en maîtrisant en patron la course. Malheureusement ça ne se produit pas comme cela. Après il y a  Zeltweg. Course que j’aurais du gagner mais je crève et finis quatrième.

 Imola
Grand-Prix-de-San-Marin 1983 @ DR

Vous êtes toujours seul à ce moment là dans l’écurie ?

Patrick Tambay : Oui. L’écurie a pris la décision de ne rouler qu’avec une seule voiture. Ils ont peut-être peur d’avoir un accident supplémentaire. Moralement, psychologiquement et peut être aussi techniquement, n’était-il pas possible de mettre une seconde voiture en ligne.

C’est après la course où je déclare forfait, à Dijon où se court le Grand Prix de Suisse, qu’ils font appel à Andretti. J’ai le grand dentelé déchiré. Je dois conduire avec un bras. Plus tout de force dans le bras droit. Je ne peux tenir le volant dans la courbe de Pouas et les courbes rapides. Impossible de conduire.

Donc pour Monza ils engagent Andretti. Il fait la pôle et termine troisième. Je fais deuxième derrière Arnoux qui gagne. Mais à Monza, c’est moins exigeant, je conduis avec un bras. ( Arnoux venant de signer avec Ferrari pour 1983).

Puis arrive Las Vegas où c’est la même complication. Et Ferrari me donne une nouvelle fois ma chance. A savoir : une première fois en 1977 quand ils m’ont proposé de courir pour eux en 1978 et que j’ai refusé. Une erreur. Ils m’ont donné une seconde fois ma chance quand Gilles s’est tué et qu’ils m’ont appelé pour le remplacer. Et une troisième fois fin 1982 parce qu’ils ne me remplacent pas par quelqu’un d’autre alors que je suis physiquement diminué. Ils attendent que je sois rétabli pour me confirmer pour 1983.

Ce qui me fait penser et dire que le Commendatore avait beaucoup plus de respect pour ses pilotes que ce que l’on veut faire dire ou faire croire. Il a été à mon égard très correct.

Patrick Tambay - Enzo Ferrari
Enzo Ferrari – Patrick Tambay @ DR

Trente ans plus tard, quel souvenir de cette époque reste le plus fort ?

Patrick Tambay : Tout ce que je viens de vous révéler est encore très présent dans mon esprit. Nous avons, avec tout l’équipe de cette époque, récemment fêté cet anniversaire. Bien sûr nous nous sommes remémorés tous ces évènements et nous sommes faits de nombreuses confidences. Comme celle-ci de mon chef mécanicien Paolo Scaramelli :  » Nous avions vécu tant de drames, tant de tristesse que même si, professionnellement, nous ne pouvions rien faire de plus, chaque fois que tu prenais la piste, nous priions pour que tu nous reviennes entier ». 

Propos recueillis par Olivier ROGAR
Le Cannet – 17 mai 2013

 
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