Pilote auto – moto, expérimentateur, innovateur,  Eric Offenstadt  a su catalyser toutes les énergies autour du projet qu’il a construit avec les frères Gomez – GCA – pour la création d’une moto révolutionnaire, la GECO. Johnny Rives nous en raconte la génèse.  

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HISTOIRE D’UNE AVENTURE MÉCANIQUE ET HUMAINE

Un beau jour de décembre 2010, l’ancien pilote automobile et motocycliste Eric Offenstadt fut interpellé par son fidèle mécanicien Pierre Géri : « Eric ! J’ai un copain, Jean-Marc Gomez qui aimerait te revoir. Vous vous êtes déjà rencontrés « Gogo » et toi (c’est son surnom !) et tu l’avais intéressé. Pour cette raison, il aimerait te présenter ses deux fils, Olivier et Arnaud. Ils sont eux-mêmes passionnés de technique et possèdent un atelier de préparation et de développement de voitures de compétition à Pézenas. Tous aimeraient que tu leur rendes visite dès que possible. »

L’invitation n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd ! Même s’il ne court plus depuis des décennies, Offenstadt ne cesse de cogiter sur différents problèmes techniques concernant la compétition motocycliste. Et notamment la tenue de route. L’une de ses marottes concerne la « liaison au sol », c’est-à-dire, en quelques mots, tout ce qui peut interférer une moto avec la route quand elle aborde un virage – suspensions et pneus notamment. Les pneus, Offenstadt laisse à d’autres, plus compétents que lui, le soin de les perfectionner. Mais les suspensions, avec leurs problèmes de débattements, de souplesse, d’amortissement, cela stimule son imagination.

En ce domaine, ce qui l’intrigue le plus est que depuis trop longtemps la moto en est restée à des principes techniques (fourche télescopique à l’avant, bras oscillant à l’arrière) qui ont certes sans cesse été perfectionnés, mais qui n’ont jamais (ou rarement) été remis en question.

GOMEZ N’AVAIT PAS OUBLIÉ LA « BUT »

La rencontre d’Offenstadt avec les fils Gomez, Olivier et Arnaud, sera fructueuse. Elle s’est produite le 27 décembre 2010. L’entreprise GCA de Pézenas, quand Eric y entra, bruissait d’une ambiance d’activités mécaniques qui ranima bien des souvenirs chez lui. Mieux, dès les premiers propos Eric constata que les frères Gomez partageaient le même vocabulaire que lui. L’intérêt qu’ils devaient éprouver les uns pour les autres ne tarda pas à se manifester. Les questions se mirent rapidement à fuser, dénotant un enthousiasme réciproque. Eric voulait savoir comment avait évolué la technique et la façon de l’aborder, tant il y avait d’années qu’il en avait abandonné la pratique. Olivier et Arnaud Gomez préparaient des voitures pour la course, des « silhouettes » destinées aux épreuves des catégories Sport et GT. Il les interrogea sur les nouveaux matériaux, les géométries de suspension, les commandes séquentielles de boîtes de vitesses. Mais il n’était pas le seul à poser des questions. Jean-Marc Gomez finit par lui demander : « Et toi Eric, est-ce que tu poursuis tes études sur les suspensions des motos ? Je n’ai pas oublié, pour y avoir assisté dans le virage du Musée au Mans (Grand Prix de France 1979) comment Hervé Guilleux au guidon de la « But » que tu avais développée, reprenait 30 mètres aux autres dans le freinage « sur l’angle ».

          Tu parles ! Je n’ai jamais arrêté de dessiner des dizaines, des centaines d’épures, pour essayer de découvrir tous les principes fondamentaux des liaisons au sol pour la moto… Ce dont tous les bureaux d’études du monde entier ont l’air de se moquer éperdument ! »

Et Eric Offenstadt de mettre en avant des travaux effectués pour la Sercati – un fabricant de machines-robots de Saint Ouen L’Aumone qui lui avait confié un département moto pour la fabrication de fourches à bases d’éléments De Carbon. Et aussi ceux qu’il avait effectués pour White Power (WP) un fabricant néerlandais de fourches télescopiques pour fournir Aprilia. Ou encore sa participation à la construction et aux tests Michelin effectués avec Tecmas – de son ami Michel Augizeau.

Offenstadt était revenu chez lui, à Sète, enchanté de cette visite chez GCA à Pézenas. Il avait trouvé en les frères Gomez des techniciens passionnés. Une passion partagée par toute leur famille au point que leur maman, Patricia, avait participé à la préparation de leurs moteurs à l’époque où, plus jeunes, ils couraient en karting. La réciproque était sans doute vraie puisque le lundi matin 30 décembre, soit trois jours plus tard, Jean-Marc Gomez (le père) lui téléphonait pour lui annoncer : « Mes fils seraient intéressés de construire ton prototype qui synthétise l’ensemble de tes études depuis 1984 ainsi que la transmission homocinétique réalisée pour l’entreprise canadienne Bombardier. »

Transmission homocinétique ? Il s’agit d’un principe permettant d’éliminer les accélérations de roue parasites provoquées par les mouvements des suspensions (« constant velocity »), phénomène que les constructeurs de voitures de course maîtrisent depuis 50 ans… sans que cela ait eu la moindre répercussion chez leurs confrères de la moto.

POURQUOI GECO ?

Sitôt dit, sitôt fait : pendant 18 mois, Olivier Gomez et Eric Offenstadt se rencontrent une fois par semaine pour plancher (conception, CAO) avec acharnement sur ce qui est devenu leur projet commun. Ils ont choisi de l’appeler GECO, en jouant sur leurs propres initiales – en s’amusant que ce sigle évoque aussi le sympathique petit lézard qui s’agrippe aux murs sans jamais lâcher prise. Un jour par semaine pour un projet ambitieux cela peut paraître faible. Mais les frères Gomez veulent conserver une priorité au profit de leurs activités professionnelles dans leur entreprise GCA : le développement et la production de voitures « silhouettes » affrontant divers championnats de type GT. D’autant qu’un coup dur vient de survenir qui met en danger GCA : la crise, qui sera responsable de l’amputation d’une partie du budget de cette entreprise.

En dépit de quoi, Olivier et Eric n’ont pas désarmé. Ils ont décidé ce qu’ils appellent un « pari fou » en publiant leurs travaux. Bien qu’ils ne disposent encore d’aucun budget, ils le présentent aux « seules personnes » (sic) capables d’expertiser leur théorie nouvelle de liaison au sol : les ingénieurs de développement de Michelin.

Cela a pu se faire grâce à l’intervention de l’ingénieur bien connu dans le monde de la course, Pierre Dupasquier. Offenstadt avait souvent eu l’occasion d’apprécier ses compétences depuis l’époque où il courait lui-même. Désormais retraité, Dupasquier dirigea Offenstadt vers un autre ingénieur de qualité – toujours en activité, lui : Nicolas Gaubert. C’est lui qui assura le contact entre GECO et un groupe d’ingénieurs de recherche de Michelin dirigé par Cyril Guichon.

MICHELIN INTERESSÉ

Gomez et Offenstadt sont reçus au Bureau d’Etudes, à Clermont. Ils y présentent tout ce qu’ils ont conçu jusque là (plans 3D, graphiques etc.). Pendant quatre heures, ils répondent aux questions incisives des ingénieurs de Michelin. Ils se sentent en confiance grâce à l’écoute attentive de ces techniciens férus de moto. Il leur faudra attendre une vingtaine de jours avant de recevoir un écho de cet « examen » passé chez Michelin. Et que voici :

 « Merci pour cet échange technique passionnant. Votre projet est innovant… et le décalage de performance alléchant. Je vous confirme que nous sommes ouverts et prêts à vous accueillir dans nos séances d’essais lorsque votre prototype sera disponible. Pendant la phase de construction du proto, nous pourrons répondre ponctuellement à vos questions si vous le souhaitez. Merci de nous tenir informés de l’avancée de vos travaux.

Cordialement,

Cyril Guichon. »

 

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Aux yeux des fondateurs de GECO cette missive constituait bien plus qu’un encouragement : un acte de naissance. S’appuyant sur l’attention que leur avaient portée des ingénieurs de pointe chez Michelin, et la confiance qui en était résultée, ils réalisaient que tout commençait vraiment. Résultat : une équipe se greffa rapidement autour du projet GECO : Etienne Bocard, directeur des freins Beringer, accordait son soutien immédiat. A ce professionnel éminent  s’ajoutaient des bénévoles enthousiastes : J.P. Dautricourt lançait une page Facebook pour promouvoir GECO. Pierre Gefrin créait une association loi de 1901 pour récolter des fonds afin de lancer la fabrication des premiers éléments. Bernard Bussillet lançait une série d’articles dans « Café Racer ». Patrice Lambert, un Réunionnais qu’Offenstadt avait aidé à modifier sa moto, se proposa comme actionnaire de la société GECO. Il en fut le premier. Christophe Guyot sollicita le patron de Yamaha-France, Eric de Seynes, pour le prêt d’une 1000 R1. Le journaliste suisse J.C. Schertenleib y alla de ses quatre pages dans « Motor Sport Suisse ». Gilles della Posta invita Offenstadt pour présenter le projet GECO sur Eurosport lors d’un week-end de Grand Prix. Tommy Marin (Motor Bike) et Bertrand Gold (Moto Journal) écoutèrent Offenstadt sans préjugé – ce qui était nouveau pour ce dernier. Bref le projet GCA/GECO avait pris de la consistance. On était en 2012.

Pour ses créateurs Gomez et Offenstadt, ce projet est devenu une incroyable aventure humaine qui semblait inimaginable deux ans plus tôt. Ils décident de lancer une souscription dans le but de pouvoir construire le prototype originel de la Geco. Une souscription rencontrant immédiatement un succès inespéré.

 Des personnes qu’Eric n’avait plus vues depuis des décennies (Emmanuel Laurentz, René Robin), d’autres qu’il ne connaissait même pas, s’associaient au projet. Marcel Morel (Titanium Services) et Joel Perrichon (Titan Innovation Process) offraient les plus gros usinages. Olivier Barbier obtenait un rendez-vous au ministère du développement productif…

 « Eric van Duschbul » offrait les amortisseurs Öhlins (1500 euros). Deux importants sponsors se déclaraient : la SPEM de Fréderic Anfray et les « Grands Vins » de Jean-Claude Mas à Montagnac que leur avait présenté Philippe Maurizi. Pour ne rien dire d’un nombre incalculable de bonnes volontés, chacun amenant son apport.

Les premières pièces étaient usinées par Pierre Gari, l’ancien mécano d’Offenstadt qui avait été au départ de l’aventure. Le lycée de Béziers faisait réaliser le réservoir par des élèves. Les professions les plus diverses se manifestaient pour la réalisation d’un exploit « impossible » : créer sans le premier centimes au départ une machine qui demanderait entre 15 et 20 millions à des entreprises comme Honda si elles décidaient d’en entreprendre l’étude.

Un conte de fée ? Plutôt  la « niche à haute technologie » dont nous parlent les pouvoirs publics. Offenstadt et la famille Gomez de Pezenas ne rêvaient plus : la Geco affrontera bientôt l’asphalte !

 

Johnny Rives

Photos @ Eric Offenstadt / Geco

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