Jean-Paul Orjebin dont les excellentes interviews ont marqué les esprits nous a autorisé à reprendre celles réalisées il y a peu pour Mémoires des Stands. De quoi se régaler, en attendant des inédits peut être  ?…

Classic COURSES

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Dans notre quête de rencontrer les acteurs éclipsés du  sport auto, il y avait une obsession, celle de retrouver Henri Grandsire.

La figure emblématique des années 60 est d’une discrétion absolue. Grace au carnet d’adresses d’un pilier de chez Alpine, nous avons réussi à dénicher l’oiseau rare lors de l’un de ses rares passages à Paris.

Nous sommes heureux de vous faire partager le long entretien que nous avons eu avec le Champion de France 1964 chez lui, dans  son confortable pied à terre parisien à deux pas du lieu ou était situé le célèbre Bar de l’Action.

Vous semblez, aujourd’hui,  très éloigné du milieu auto ?

Henri GRANDSIRE : Oui je m’en suis éloigné, mais j’ai gardé des contacts avec des amis comme Claude Furiet, Johnny Rives , j’avais des rapports très amicaux et suivis avec José Rosinski qui a disparu il n’y a pas longtemps. 

Votre enfance ?

HG : Elle s’est passée en Provence, à Istres, mon père était pilote d’avions militaires à la Base Aérienne. Je rêvais donc de devenir  pilote d’avion.

Ce rêve s’est calmé brutalement.  J’ai perdu mon père, j’avais  quatorze ans. Apres avoir été démobilisé en Indochine, il avait fondé sur place une petite compagnie d’aviation qui effectuait des transports civils et militaires avec des DC3, la C.A.T.I, Compagnie Aérienne de Transport Indochinois. Son avion s’est abimé quelque part lors d’une liaison entre Hanoï et je ne sais plus quelle ville. On n’a jamais retrouvé l’avion, ni le pilote, ni le copilote. Il était impossible de faire des recherches  au sol à cause des Viet Minh. La situation n’était pas très agréable surtout pour ma mère, alors on a attendu la fin de la guerre pour essayer d’avoir des nouvelles avec le secret espoir qu’il ait été fait prisonnier , mais rien.

Alors un transfert de passion de l’avion vers l’automobile ?

HG – Ce n’est pas aussi simple, en fait je n’avais pas trop la vocation, j’étais passionné par la moto, j’achetais toute les semaines Moto-Revue , à l’époque, il avait une couverture rouge et je roulais en scooter, c’était le seul deux roues que ma mère m’avait permis d’avoir. J’assistais à toutes  les courses motos qui se déroulaient dans ma région. J’habitais Nice, alors j’allais à Vintimille ou à San Remo, je voyais et j’écoutais les MV 4 et 6 cylindres, c’est un bon souvenir.

Mais dans le contexte de ma vie familiale, je ne me sentais pas, par égard pour ma mère, faire quelque chose de plus dangereux et risqué que ce que je faisais déjà avec mon scooter 125 passé en 175, 4 vitesses.

Puis mon frère ainé, qui a trois ans de plus que moi, a eu l’idée et l‘envie de faire le 1er Tour de France Auto qui partait de Nice avec  une  4 cv de série. Apres il l’a fait transformer en 1063 par Condrillier, alors je me suis un peu amusé avec cette voiture, mais ce n’est pas un truc qui m’accrochait trop.

Je suis allé faire la fin de mes études commerciales à Lausanne en Suisse.  Les voitures  y étaient moins chère qu’en France, aussi, j’ai pu m’acheter une petite Alfa-Romeo spider Veloce . Celui qui vendait les Alfa a Lausanne c’était Emmanuel de Graffenried , le pilote Suisse réputé. Avec un copain on a décidé de faire le Rallye Lyon Charbonnières avec l’Alfa , on se partageait le volant mais à mi-Rallye il s’est sorti . Ma première expérience s’est terminée comme ça.

A Lausanne, probablement autour de De Graffenried, il y avait une bande de jeunes assez fortunés qui roulaient en Alfa ,en Ferrari, en Maserati et l’un d’eux m’a soufflé qu’ une Ecole de Pilotage, Centro-Sud, se montait à Modène avec des Maserati deux litres ou trois litres, avec comme professeur, Louis Chiron, ce doit être en 1958 ou 59. J’y suis allé.

Vous avez bien dit, Louis Chiron ?

HG – Oui Louis Chiron, le pilote des années 30, c’est lui qui donnait les cours, qui nous apprenait les trajectoires sur le vieux circuit de Modène dans nos vieilles Maserati,il était planté au bord de la piste  au milieu des mecs qui venaient essayer leurs bagnoles.

Et là, j’ai senti le déclic.

Il faut dire que pendant le mois du stage, il y avait une ambiance très particulière,  on vivait tous à l’Hôtel Real Fini, Via Emila à Modène, et on voyait passer tout le gratin du sport-auto. On dinait à une table d’hôtes avec ceux qui venaient chez Ferrari chercher leur 250 GT.

On ne savait pas quoi faire entre les cours, alors on jouait au ping-pong avec Phil Hill et Dan Gurney, tres bonne ambiance.

Du coup, je me suis dit, je vais essayer, j’ai vendu mon Alfa, je suis allé Chez Stanguellini, j’ai acheté une Formule Junior, une remorque et  une grosse Chevrolet Bel Air 58 noire 2 portes  pour la tracter.

Et donc à mi- saison j’ai attaqué le Championnat italien. Je me rappelle qu’à l’époque il n’y avait pas de circuit en France, les pilotes français faisaient essentiellement du rallye, il n’y avait pas de monoplace, la seule course que nous avons faite en France, ce devait être Aix les Bains ; Course qui s’était mal terminée  avec cette histoire de passerelle qui s’était effondrée pendant l’épreuve.

L’essentiel se faisait en Italie, Pescara, Reggio Calabre,  Messine, en Sicile, Monza, Modène.

Dans cette catégorie, je courrais avec Bandini dont le parcours a été formidable, quand je l’ai connu, il était un petit mécanicien dans un garage à Milan, à l’époque si on lui avait dit tu vas courir pour Ferrari mais mourir en F1, il aurait dit d’accord. Moi aussi d’ailleurs.

La première année, comme j’avais une licence suisse  j’avais peint la voiture en rouge et blanc. L’année suivante, en 60, je l’ai fait peindre en bleu avec bandes bleu-blanc-rouge, j’en avais marre qu’on me prenne pour un Suisse.  

1960,  c’est l’année où sont arrivés les châssis anglais, Lotus et Cooper avec le moteur à l’arrière. Ils nous ont vite tournés autour, sauf à Monza.

Rétrospectivement, on se rend compte qu’il y a deux ou trois événements qui auraient pu faire basculer ma  carrière, alors le fait de me remémorer ces vieux souvenirs me fait penser à la course qui a lieu à Modène.

Ma voiture était très bien préparée, en 60 on a commencé à remplacer les Pirelli par des Dunlop , sauf que les Dunlop , c’était les anglais qui nous les filaient donc c’était ceux dont ils ne voulaient pas. Les gommes anglaises étaient meilleures sur le sec que les Pirelli , sous la pluie c’était le contraire . J’avais fait le meilleur temps aux essais, mais par un tour de passe-passe les organisateurs m’avaient collé en 2ème ligne de façon à aligner deux italiens sur la 1ère.  Avant la finale j’avais décidé de m’assoupir un peu et je ne me suis pas rendu compte qu’il s’était mis à pleuvoir tres fort, quand je me suis réveillé ma voiture était déjà sur la grille et je n’ai pas eu le temps de faire monter les Pirelli alors que la piste était détrempée. Donc pour ces deux raisons je suis parti avec la rage au ventre. Bandini était devant moi, 1er tour, 2ème tour, j’essaie de le doubler à un endroit un peu limite, au lieu de le piquer au freinage j’essaie de le passer dans la grande courbe et je pars en tête à queue. Je finis la course 5ème ou 6ème en me bagarrant avec Baghetti.  Celui qui a gagné c’est un inconnu qui courrait sur Wainer, la seule Junior italienne à moteur arrière chaussée en Pirelli.

J’avais la rage parce que cette course, à Modène, devant tout le gratin italien, le staff de chez Ferrari, j’aurais dû la gagner et me faire remarquer. Vous comprenez, Modène en Formule Junior, c’était comme Monaco en F3. 

A la fin de cette saison 1960 vous abandonnez  Stanguellini ?

HG    J’abandonne Stanguellini parce que j’ai plus d’argent. Je cherche une autre écurie.

Dans l’Equipe , je lis que l’importateur Lotus en France, Edouard Germain, montait une écurie de Formule Junior, l’écurie Edger. Je lui écris et son directeur sportif Robin Angeli  me convoque. Je me retrouve à Montlhéry pour faire des essais. Il y avait déjà  Jo Schlesser et Bernard Boyer  qui  eux étaient déjà engagés.  Je connaissais ni le circuit ni la voiture, je n’ai pas fait un aussi bon temps que  Schlesser mais  ils ont vu  que je marchais bien puisque  j’avais un peu oublié Boyer . L’écurie était un peu engagée avec lui, d’autant qu’en plus de piloter il était un bon mécanicien et technicien. Angeli  savait pas trop quoi faire. Puis Jo a eu son accident, il avait le pied droit abimé, il ne pouvait pas faire la saison alors ils m’ont engagé.

Boyer cette année-là  a été champion de France parce qu’il a fait plus de circuit nationaux alors que moi  j’ai privilégié l’étranger, en particulier en Italie. Il y avait les Cooper, les Lotus anglaises qui objectivement étaient meilleures que les nôtres. Nous bagarrions avec  Stewart, Siffert , David Piper, du beau monde.

J’ai gagné à Vallelunga.

Cette année-là, il y avait Monaco et Montlhéry le même week-end.  Monaco, c’était le samedi, je l’ai fait avec la Lotus 20, je me souviens que dans la manche éliminatoire, j’étais troisième, je me bagarrais avec deux Lola d’usine devant moi, j’étais le nez dans leur cul, à Monaco, c’est impossible de doubler et malheureusement avant la fin , mon levier de vitesse s’est désolidarisé de son support et j’ai fini en passant les vitesses  un peu n’importe comment. On a réparé comme on a pu et pour la finale il a cassé de nouveau. Je me souviens qu’après la course Colin Chapman est venu me demander ce qui s’était passé. Sans cet incident mineur, j’aurai pu faire quelques chose de bien en finale.

J’ai sauté dans un train de nuit pour être à Montlhéry le lendemain matin sur la Lotus 18 qui m’attendait. Par dérogation,  les organisateurs ont accepté que je parte en dernière ligne. Je n’ai jamais pu rattraper Boyer.

Vous aviez de bons rapports avec Boyer ?

HG       Oui, excellents, mais j’avais un peu l’impression d’être privilégié, lui il était engagé par l’écurie Edger mais comme mécanicien en même temps que pilote. En plus j’étais ami avec Angéli et surtout avec le patron Germain. C’est en raison de cette amitié  qu’il a prolongé la vie  d’Edger l’année d’après, c’était pour me faire plaisir, sinon il aurait arrêté à la fin de la saison 61.

Qu’est devenu Edouard Germain une fois l’Ecurie Edger dissoute ?

HG      Je suis resté ami avec lui longtemps, il a eu une concession Fiat rue Michel Ange ensuite il a acheté un Hôtel dans le midi, il a eu des problèmes de santé, il faut dire qu’il aimait bien faire la fête, il est décédé, il y a une quinzaine d’années. C’était un pied noir qui avait eu le nez de vendre sa grande propriété vinicole en Algérie au bon moment.

Comment s’est passée la période post Edger en 1962 ?

HG     C’était un peu la galère, j’aurais du fréquenter plus souvent  le bar de l’Action où les carrières se faisaient avec Crombac qui organisait un peu tout ça, mais ce n’était pas mon style, je ne suis pas politique du tout, j’ai tord d’ailleurs.

J’ai donc fait quelques courses que l’on me proposait, quelques unes sur une Merlin à la demande d’André Pilette .

 Des anglais à Reims qui cherchaient un pilote  m’ont  filé une petite prime pour piloter leur voiture, je me souviens elle avait des rapports courts pas vraiment adaptés au circuit de Reims, alors je tirais pas trop dans la ligne droite pour pas exploser le moteur, heureusement d’ailleurs car c’étaient des bagnoles  qui non seulement allaient pas très vite  mais en plus étaient relativement dangereuses ; je suis allé au bout quand même, les anglais étaient tout contents de finir une course à Reims .

En 1963 vous entrez chez Alpine ?

HG   José Rosinski me fait en effet rentrer chez Alpine pour essentiellement faire la saison de F3, mais ma première compétition avec eux c’était le Rallye de La Baule avec une A108 très bien préparée, ensuite, le Nurburgring avec une berlinette quasiment de série. Je l’ai mise sur la tête.

La saison a vraiment commencé avec les courses F3. On avait des moteurs préparés par Moteur Moderne qui était loin de valoir les moteurs anglais, par exemple à Magny-Cours je prenais pas tout les tours, les gars de Moteur Moderne me reprochaient de pas tirer assez, de plus j’avais une boite mal étagée, alors après les stands je passais la 5ème pour repasser la 4 tout de suite  après et aborder la grande courbe . On s’est bagarré avec Offenstadt sur Lola, un coup toi un coup moi. Je pense que mon Alpine, en fait un châssis Brabham,  était plus agile que sa Lola et malgré mes problèmes de boite et de moteur j’ai gagné la course. Mais dans le paddock, Stewart est venu me questionner sur ma façon bizarre d’aborder la courbe et le choix de mes rapports. Je me suis justifié, je ne voulais pas qu’il pense que  c’était une erreur de pilotage  et que c’était de ma faute. On se parlait à l’époque.

L’année s’est plutôt bien passée d’autant qu’il s’est dit après que l’on invitait moins d’anglais sur les courses françaises de manière à ce qu’Alpine remporte le championnat.

Vous couriez aussi en protos ?

HG Bien sûr, mais je préférais à 100% la monoplace. D’autant plus que les premiers protos Alpine étaient des pièges presque inconduisibles. C’était le châssis poutre d’une rigidité pour le moins aléatoire. Boyer les construisait et les conduisait, il devait bien s’apercevoir qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Dans la ligne droite du Mans, on allait jamais droit, on louvoyait tout le long, les voitures puissantes  faisaient du slalom autour de nous. Nous, on doublait pas grand monde mais comme on était rapide on avait des GT à passer. A quelques mètres près, on ne savait pas trop où on était.

Avez-vous eu comme c’était la coutume avec Jean Rédélé , la mission de vendre des voitures ?

HG    Uniquement durant les Salons automobiles. Je faisais les essais avec le client, mon boulot c’était de montrer comment on pouvait exploiter la voiture et de dire le bien que j’en pensais, mais la vente, ce n’était pas mon fort. En général  après l’essai, j’orientais le client vers Cheinisse qui concluait la vente. Je n’ai jamais fait signer un bon de commande, d’abord je pense que les véritables commerciaux étaient meilleurs que moi et ensuite parce que je suis incapable de vendre à quelqu’un, quelque chose qui ne lui convient pas. Quand je voyais le couple avec enfants acheter une GT4 ou le petit jeune qui gagnait un minimum prendre un crédit qu’il n’arriverait jamais à rembourser pour partir avec une A110, cela me paraissait impossible.

Ce qui a été marquant c’était au salon de Genève quand est sorti le feuilleton Michel Vaillant qui était d’ailleurs sorti en Suisse en premier, ce qui faisait qu’ils l’avaient vu deux fois. Les mecs voulaient tous faire un essai avec l’acteur Michel Vaillant … je ne les faisais qu’avec les jeunes filles…. Je n’étais pas marié à l’époque.

Quelle  était  la stratégie d’Alpine en matière d’équipage au Mans ? Vous par exemple, en 6 participations, vous n’avez jamais eu le même coéquipier.

HG      La stratégie d’Alpine était de remporter  le seul classement possible, l’Energétique.  On mettait les plus lents ensemble, je leur en veux pas mais Delagenestes et Boyer , c’était pas des flèches. La méthode est simple, vous arrivez en 5éme, sur un virage, vous freinez bien avant, vous laissez courir et vous passez la 2 ou la 3, quand vous êtes à la vitesse de passage du virage sans utiliser les intermédiaires, vous réaccélérez doucement  jusqu’à la vitesse de pointe et là, vous soulagez un peu. C’est ça la méthode pour remporter l’Energétique.

C’est vrai que moi, je n’avais pas la réputation de faire ça. Mes coéquipiers et moi on essayait de s’approcher de l’indice énergétique, en tous cas dans les premières heures, mais on était toujours barré par les Porsche. Ce en quoi cette stratégie n’était pas si mauvaise puisqu’Alpine a souvent gagné l’Energétique, il basait leur publicité là-dessus, mais entre nous, ce devait être un véritable pensum que de conduire de cette façon pendant 24 h.  Nous on était là pour montrer que nos autos pouvaient être rapides, d’ailleurs les deux fois où j’ai fini c’est  9ème ce qui avec des petites voitures,  n’est pas si mal. En tirant sur la bagnole normalement, on marchait comme en circuit, en freinant tard et en descendant toutes les vitesses, on pilotait quoi.

Les petits protos globalement ça allait pas mal, c’est le3 litresqui a foiré

Parlez-nous  des A220 3 litres

HG  C’était une voiture très dangereuse, Elle avait tendance à s’envoler. On a beaucoup parlé de Pesca  qui s’était envolé dans les Hunaudières avec la Matra , mais hélas le premier à avoir accompli cet « exploit », c’est moi avec l’A220 au Nurburgring en mai 1968. Encore une histoire qui ramène à Mauro Bianchi. Il avait fait quelques tours aux essais, il s’arrête, me passe le volant, je lui demande si tout va bien, il me dit oui aucun problème. Bon, je suis quand même un garçon relativement méfiant, au premier tour je passe doucement et je me rends compte qu’à  certains endroits du circuit où la voiture se déleste, elle était très légère de l’avant. J’étais étonné que Mauro se soit pas aperçu de ce phénomène, mais je continue tout en étant seulement à  80% des possibilités de la voiture. Je prends la ligne droite qui vous le savez est traversée de temps en temps par des chemins, ce qui provoque des légères bosses à chaque croisement. Avec les petits protos , on passait à 230 on les sentait même pas, avec le3 litres c’était différent. A la fin de la ligne droite, j’étais pourtant pas à fond, je prends une bosse, la voiture se lève du nez  et  passe sur le toit en looping. Je me suis dit, je vais mourir, j’espère que je ne souffrirais  pas , c’est la seule chose dont je me rappelle. La voiture par miracle est retombée sur le macadam parce que si elle était retombée dans la terre meuble, j’aurais été bloqué à l’interieur. On avait un arceau très costaud, la voiture retombe sur le toit, elle tourne en toupie sur la piste elle finit par s’arrêter. Je n’ai pas trop de souvenirs de ça, quand j’ai réellement repris conscience, je courrais sur le coté de la piste, j’étais à 30m de la voiture, il me manquait une chaussure. Je sais pas comment j’ai dégrafé mon harnais, je sais pas comment j’ai ouvert la porte, je ne sais pas comment j’ai traversé la route. J’ai regardé ma voiture, l’essence coulait de partout, mais elle n’a pas pris feu. . Quand on se sort et que l’on est sur la piste , on se bat et on ne pense pas au choc, on n’a pas peur, on travaille avec le volant jusqu’au dernier moment, , mais quand on est en l’air , on ne peut rien faire .

 Donc je rentre aux stands, je m’étais un peu écorché la main mais c’était rien. Je vois Mauro qui vient en face de moi et qui me dit : « Qu’est ce que tu as encore fait comme connerie ». La, voyez vous, je regrette vraiment de pas lui avoir mis ma main dans la figure. Il y avait Rédélé dans les stands, je lui ai dit : Jean, ta voiture s’est envolée. Personne ne voulait me croire, ils pensaient que j’avais fait une erreur de pilotage. Heureusement en retombant, les échappements se sont tordus d’une façon qui prouvait que j’avais fait un looping, en plus il y avait un concurrent  qui me suivait qui a témoigné du phénomène, mais il a fallu attendre que l’épave revienne aux stands pour que je sois « blanchi », c’est un peu dur.

Alpine a amélioré l’aéro après cet accident ?

HG Oui, mais de manière très particulière. Le fameux peigne sur la queue, c’était une connerie. Mauro pensait que ce qui comptait, ce n’était pas l’appui mais la trainée, A l’avant on avait deux petits becquets ridicules. Sur des voitures très fines comme elles étaient, il fallait charger l’avant, c’est ce que préconisait Hubert.  Il avait même crée un béquet avant pour sa R16, c’est dire s’il y croyait.

Je m’entendais bien avec Hubert, je n’étais pas à Dieppe , je vivais à Paris , alors tous les essais aéro on les faisait à Montlhéry avec un Gordini normal , après ces essais, il allait les vérifier au Centre Effel de la rue Boileau.

La meilleure c’était le proto3 litres avec les radiateurs latéraux, parce que quand on a mis les radiateurs à l’arrière, au bout de la queue qui était à plus d’1,50m de l’axe arrière, la voiture devenait inconduisible.

J’ai jamais à l’époque trop parlé de ce phénomène à la presse mais j’ai lu quelque part que Gérard Larousse s’était exprimé sur le sujet lors d’une interview où il relatait la course qu’il a faite avec moi en 68 au Mans . Ce jour-là, je suis sorti de la route à Mulsanne , j’ai fini dans la guérite qui protège les commissaires. Gérard dit texto : « en 68 quand je faisais équipage avec Grandsire , la voiture était effroyable à conduire, quand j’ai entendu qu’ Henri était sorti et qu’il n’avait rien , j’ai été soulagé , j’ait dit à mon épouse : le cauchemar est fini ».  C’est Larousse qui dit ça , lui on le croit , il a fait une immense carrière , protos, F1 etc , il est plus crédible que moi.

Avec plus de professionnalisme ou aurait pu faire mieux. J’ai souvent entendu dire que la puissance du Gordini3 litresétait handicapante. C’est en partie vrai, je soutiens que ce moteur, on ne l’a jamais exploité à fond. Même s’il ne faisait que 300 ou 320 chevaux, même s’il n’avait pas tenu 24 h , on aurait pu essayer d’aller vite, on était barré par la voiture, ce que l’on pouvait faire avec la M63 et nos moteurs de 1000, 1300,ou 1500 cm3, on ne pouvait plus le faire avec 300 ch, quand on roulait à plus de 300 ce n’était plus du tout la même chose.

Voulez vous bien évoquer  vos coéquipier chez Alpine, il semble que le nom de Mauro Bianchi revienne souvent dans vos propos ?

HG    Une drôle de personnalité, il disait : «  Pilote c’est un pas métier moi je suis metteur au point » , il devait être un peu jaloux, je n’étais pas à Dieppe à l’usine, je marchais pas mal et puis il y a eu Michel Vaillant et la, ça été la catastrophe.

Enfin, je me suis jamais entendu avec lui, on conduisait pas du tout de la même façon, on n’avait pas les mêmes sensations ni les mêmes réglages, il venait de chez Abarth, c’était un attaquant, il rentrait dans le virage, il se mettait en travers et il sortait n’importe comment.

D’ailleurs il y a un truc qui est symptomatique, à des essais pneus sur le circuit  Michelin , il attaquait comme une bête, en travers partout. Dupasquier lui a suggéré de rouler plus propre, il a descendu ses temps tout de suite. Je ne veux pas dire qu’il se trainait, il pouvait être rapide sur un tour, plus sprinter que moi, le problème c’est que l’on ne pouvait pas adapter ses réglages aux autres pilotes. C’étaient des réglages figés, il n’y avait rien d’adaptable. Par exemple, on n’avait pas de barres antiroulis réglables, Il fallait les démonter pour en mettre une plus grosse, si on avait eu des crans comme tout le monde il aurait suffi  pour durcir de modifier la position.

Pour Bianchi, si c’était bon pour lui, c’était bon pour tout le monde.

Redelé qui était un type brillant et intelligent s’est laissé éblouir par Mauro.

Attention, il n’a pas fait que des mauvaises choses chez Alpine, mais il aurait été meilleur metteur au point, on aurait de meilleures voitures, il y a quelques protos qui ont bien marché mais ils auraient pu marcher encore mieux.

Et Rosinski ?

HG   Alors si moi je n’avais pas d’atomes crochus avec Bianchi, José c’était pire. Avec José j’ai un souvenir sympa, c’était aux essais du Mans en avril, ils avaient monté un moteur de F2 dans un châssis donc c’était un 1000 cc et ils m’avaient donné l’objectif de faire un temps avec cette voiture. Alors j’ai dis à José qui conduisait lui une 1300 ou 1500 que pour faire un temps avec le 1000 il fallait qu’il m’aspire. Lui ça l’amusait de faire un tour à Bianchi. Nous voila partis tous les deux, je me fais aspirer toute les Hunaudières, je le pique au freinage, à Maison Blanche il me laisse passer, avec le 1000 je passais à fond. Je fais mon temps, comme on me l’avait demandé. Un journaliste avait chronométré les passages dans les esses d’Arnage et le lendemain dans l’Equipe en pages  intérieures il y avait un titre : Surtees, avec un temps que j’ai oublié et Grandsire avec la 1000cc à 1/10eme…notre ami Mauro a pas apprécié, d’ailleurs l’année d’après il a laissé le soin à personne de faire le meilleure temps.

C’était une concurrence qui n’était pas toujours constructive, mais en même temps cela nous motivait. Pour lui j’étais un glandeur  puisque je ne travaillait pas à l’usine. Moi je n’étais pas engagé pour ça.

Vous avez d’autres anecdotes mancelles ?

HG     Avec Leo Cella, je savais que c’était un type qui marchait pas trop mal, aux essais on avait fait à peu prés les mêmes temps, en course on a bourré tous les deux du début à la fin. Il y a eu un moment amusant avec lui. Il faisait le dernier relais, en général à partir de 15h 50, on lève un peu pour passer la ligne d’arrivée à 16 h ou un peu plus de manière à ne pas faire un tour supplémentaire. Lui, je l’ai vu doubler tout le monde, y compris les Ford qui étaient en tête pour passer avant que le drapeau s’abaisse et refaire un dernier tour, sans doute pour afficher un kilométrage plus important. Mais je crois que c’est la seule fois que l’on a vu ça au Mans et vu des stands, quand c’est ton coéquipier, l’attente est longue.

A part Le Mans, quel s sont les circuits qui vous ont marqué ?

HG     Je ne vais pas être très original, l’ancien Nurburgring, c’était un juge de paix, un circuit « d’hommes ». si on veut faire peur à quelqu’un , on l’emmène en passager sur le Nurb, on est certain du résultat, en particulier à un endroit où il y a un virage, un peu en dos d’âne sans visi, vous êtes en quatre, naturellement le passager pense que vous allez rentrer la trois et en fait vous passez la cinquième, ça surprend !

J’aime aussi beaucoup Charade , j’y ai pris un pied énorme avec le proto qui marchait très bien ,aux 3 Heures d’Auvergne en 63 ,  j’étais tout seul, il y avait  David Piper avec une GTO, Bandini avec une Testarossa. Je me souviens que lorsque les stands m’ont passé le panneau m’indiquant que j’avais couru une heure, je me suis dis c’est pas possible, tellement c’était long et épuisant, j’avais encore deux heures à tourner, j’en voyais plus la fin, mais quel bonheur sur ce circuit magnifique.

Rouen aussi, la descente  du Nouveau Monde, ça va vite, tiens, une anecdote qui me tient à cœur parce qu’elle est caractéristique de mon caractère qui était sans doute pas assez féroce pour ce métier. J’avais un moteur si peu puissant que Mauro Bianchi m’avait pris un tour, il me double devant  les stands, ce qui fait que je  le rejoins dans la descente et je suis dans son cul jusqu’à l’épingle, en bas. J’aurais pu le doubler, j’aurais dû le doubler, il y avait tous les journalistes à l’épingle, Rives et les autres. Avec son bon moteur Mauro m’aurait doublé dans la montée et comme ça ils auraient bien compris que j’avais un problème de  puissance moteur. D’ailleurs après la course ils me l’ont dit : « Putain qu’est ce que tu lui a mis dans la descente a Mauro ».

Il y a eu votre expérience de la Temporada argentine ?

HG C’était fou. Il y avait trois Alpine F3 d’usine, Mauro Bianchi , Carlo Pairetti, un coureur argentin et moi. C’était 4 courses, 4 semaines pendant l’intersaison européenne, fin janvier 1966. Il y avait également Regazzoni , Silvio Moser  , Offenstadt sur une Lola et Wilson Fittipaldi sur une Alpine privée, son père était  je crois l’importateur Renault pour l’Amérique du Sud.

La première course a eu lieu à Bueno Aires , un beau circuit , je me souviens qu’au premier tour , il y avait eu cafouillage , je manque mon freinage , je rentre dans l’Alpine de Pairetti, l’argentin, et je le mets dehors. Bon il est reparti mais ça la foutait mal. On se faisait tourner autour par les Ford.

Apres il ya eu Rosario, nous y sommes allés avec Mauro en voiture avec Pairetti au volant. On n’est plus jamais remontés avec lui, Il faisait des Carrettera, il avait une  façon de conduire sur route ouverte bien à lui. Sur les deux voies, quand il y avait une charrette et un poids lourd en face, il levait pas le pied, il passait sur le bas coté en terre.

Rosario, c’était bien, circuit en ville, les spectateurs étaient sur le trottoir. Il y avait un rond point que l’on passait à fond à condition que la trajectoire frôle d’abord le trottoir de droite puis celui de gauche, au début on faisait attention aux spectateurs, mais après quand on a vu qu’ils remontaient sur le trottoir juste avant notre passage on est passé à fond, c’était copieux.

J’avais fait des bonnes éliminatoires, j’avais battu Moser, ma voiture marchait bien parce que c’était un circuit en ville, nos Alpines étaient meilleures sur des pistes un peu irrégulières, j’étais en première ligne pour la finale. J’ai toujours fait attention à prendre des beaux départs. J’avais repéré que le type qui abaissait le drapeau était en général une personnalité locale qui n’y connaissait rien, alors on leur collait un officiel  à coté d’eux qui lui tirait sur le bas de la veste au moment de baisser le drapeau. Moi je ne regardais pas le drapeau, je regardais la veste. Mais à Rosario la célébrité n’a pas réagit assez vite et j’ai démarré trop tôt, donc faux départ on revient sur la grille en reculant et je casse mon levier en enclenchant la marche arrière. On a pas pu réparer sur la grille, je n’ai pas fait la finale alors que la course je l’avais les doigts dans le nez . C’est Moser qui a gagné et Mauro a fini troisième.

Apres il y au Mendoza, nous y sommes allés avec Mauro en avion et pour tout dire on a regretté la voiture de Pairetti.

Mendoza c’est un circuit tout plat, c’est sympa, c’est un peu comme Aix en Provence, avec l’Aconcagua derrière, c’est superbe. Bon il y a bien un cycliste qui traverse la piste de temps en temps, mais ça fait partie du charme de l’endroit. On n’a pas brillé.

Apres il y a eu Mar del Plata, circuit en ville aussi.  Il m’est arrivé une mauvaise histoire. Toujours pareil, pas de sécurité pour les spectateurs. Dans un virage à droite, je casse un triangle de suspension, je rentre dans le foin et malheureusement il y avait des spectateurs  derrière, l’un d’eux est mort.

C’est dur, j’ai essayé d’oublier le soir dans l’alcool et le lendemain matin j’ai pris l’avion avant tout le monde et je suis rentré en France.

C’est vraiment le gros mauvais souvenir que j’ai de la course et de ma carrière de pilote.

La Targa ?

HG   Plusieurs épisodes ; avec les berlinettes, ça marchait pas mal, sauf quand Renault a voulu reprendre la direction des opérations avec Jacques Feret. Renault a voulu engager des berlinettes pratiquement de série, la seule préparation c’était deux bandes blanches collées sur la carrosserie, une catastrophe.

Avec le proto c’est un mauvais souvenir puisque je suis sorti de la route et pourtant je me régalais, peut être un peu trop.  J’ai fait une petite erreur qui s’est très mal terminée. Dans ces fameux esses en descente, je rattrape deux 250 LM pilotées par des Gentlemen drivers, appels de phares, je les double, à la fin de ce passage il ya un virage à 90° à gauche sur un petit pont, je mets la seconde, je tourne et je tape le parapet du pont, coté réservoir. Ca prend feu immédiatement, je m’en aperçois, je décide de sortir de la piste, dans un champ, j’ai eu du bol, c’est l’un des seuls endroits en pente douce au bord de ce  circuit, la bagnole décolle et quand elle retombe toute les flammes envahissent  l’habitacle, je sors, j’avais juste ma combi , un foulard Nomex et un casque open. J’ai vu tout de suite dans le regard des gens qui m’entouraient que quelque chose n’allait pas, en fait j’avais le visage et les bras complètement brulés et je ne sentais rien, j’avais bien senti un gros coup de chaud mais pas de douleurs. On m’a transporté à l’hôpital de Palerme où une petite infirmière a passé son temps à m’éplucher  littéralement pendant des heures et millimètre par millimètre elle me retirait les peaux mortes que j’avais sur le visage. Ceci afin de ne pas laisser de traces de brûlure.  On m’a mis des bandes partout, j’étais comme l’homme invisible.  Attention, mes brulures n’étaient pas aussi profondes que celle de Pesca ou Lauda, ni celles très importantes de Mauro.  Ensuite j’ai pris l’avion  pour me rendre  à l’hôpital des grands brulés à Paris. C’est dans cette chambre que  Rédélé  m’a dit : « Si tu sors de l’hôpital pour  Monaco ta voiture t’attend ». Il parlait de la F3 et  Monaco, c’était six semaines après. Je suis sorti le mercredi, j’ai sauté dans ma bagnole et je suis descendu  à Monaco et là, Mauro Bianchi s’était débrouillé pour faire engager Mairesse à ma place, ils sont arrivés à me filer la mono de Monneret qui n’était pas une voiture d’usine, ça m’est resté en travers de la gorge. J’en ai voulu à Rédélé,  à Bianchi aussi bien sur. Je me doute bien qu’ils pensaient tous que je ne sortirais pas de l’hosto à temps, mais une parole c’est une parole.

Mais pour revenir à la Targa , c’était très sympa , très bon enfant, les reconnaissances par exemple , sur route ouverte avec des voitures de série, au milieu des charrettes et des mecs qui traversaient .

Nous on faisait ça avec une R8, on aurait mieux fait de le faire avec une berlinette  parce que il y avait trop d’écart avec le comportement des protos. Ce circuit je m’aperçois que je le connais encore par cœur, 50 ans après j’ai les72 kmen tête, en tout cas si j’étais sur place je n’aurais pas besoin de le reconnaitre. Là-dessus j’ai une anecdote avec Jean-Claude Killy, c’était l’année suivant mon accident, il me demande :

         Alors tu t’étais sorti ou ?

Je lui réponds sans grande précision, il avait fait quatre, cinq tours seulement et il dit :

         Oui  je vois, le petit pont dans la descente après la série de esses.

Il avait tout enregistré. C’est fou la capacité des skieurs et de Killy tout particulièrement à mémoriser les courbes et les trajectoires instantanément et naturellement.

Une autre fois pour sa première participation au Mans il me demande deux trois conseils avant de faire ses premiers tours. Quand il revient aux stands il me dit :

         Je me suis fait une grosse chaleur avant Indianapolis, tu m’avais dit qu’en sortant de Mulsanne  jusqu’à Indianapolis c’était à fond.

          Oui, mais avant Indianapolis il y a des panneaux pour freiner.

         Oui mais c’était en courbe, je n’ai pas trop vu, j’ai gardé le pied dedans

Et ça c’était au premier tour, pas au deuxième, au premier il était déjà à fond, un équilibriste de grand talent.

Vous vous souvenez de Kyalami ?

HG   Oui très bien c’était avec Depailler. Encore une fois, une préparation un peu aléatoire, la voiture marchait pas mal, on pouvait éventuellement  gagner l’indice de performance.

On fait les essais, j’étais avec les mécanos que je connaissais bien, c’était  ceux qui me suivaient en monoplace en F3. On avait fait les essais, on avait mis des plaquettes neuves, on vérifie combien de tours il est possible de faire avec les plaquettes, on s’aperçoit  qu’elles  sont bien attaquées, on se prépare à en mettre des neuves pour la course……….

Il n’y en avait pas, on était à Kyalami, on n’avait pas de plaquettes de freins. Alors on a bien marché et à un moment sur la fin, la course dure 6 h, il n’y avait plus de freins, il fallait pomper comme un malade, on s’est fait passer devant.

J’ai regretté de n’être pas resté plus longtemps sur place pour visiter, mais Depailler voulait rentrer au plus vite, il ne voulait pas laisser sa femme toute seule, dommage.

Le peu de temps où nous sommes restés,  j’ai quand même pu me rendre compte de ce qu’était l’apartheid, avec les bus pour blancs et d’autres pour noirs, les guichets séparés, même sur le circuit ils ne se mélangeaient pas.

Il y a des pilotes qui vous ont plus particulièrement marqué ?

HG     C’est plutôt des impressions de courses, ce n’est pas obligatoirement la qualité générale du pilote dont je vais parler.

J’ai été une fois très impressionné par Rega à Reggio Calabre , il avait fait un premier tour extraordinaire , à tel point que Moser et moi qui étions derrière lui l’avons perdu de vue au bout de trois virages tellement il avait pris d’avance, au bout du cinquième virage on l’a vu….il était dans le mur, mais encore aujourd’hui je ne comprends toujours pas comment il a pu nous oublier aussi vite après le départ. Un autre qui m’a impressionné, c’était en Formule junior sur une Stanguellini  qu’un américain avait acheté et confié à Richie Ginther. C’était la première fois qu’il la pilotait, Il avait attaqué comme un fou ce jour là, alors qu’il n’était pas habitué à ce genre de trapadelle , il m’avait vraiment impressionné avec sa Stanguellini blanche.

Sinon, j’avais une grande affection pour Robby Weber et je n’oublierais  jamais les quatre cent coups que j’ai pu faire avec Johnny Servoz-Gavin, on a vraiment beaucoup déconné ensemble.

Mais finalement, avez-vous pris du plaisir chez Alpine ?

HG  Vous savez, quand vous conduisez une voiture qui ‘est pas très bonne, en laquelle on n’a pas confiance  ce n’est pas agréable du tout. Le plaisir je l’ai eu avec les petits protos , les 1300, les 1500. Pour Le Mans par exemple, elles étaient très rapides, elles tenaient bien la route malgré leurs suspensions assez molles. Oui, sur les petits protos  et en monoplace, j’ai pris du plaisir.

Je dois ajouter  que j’avais autour de moi une équipe de mécanos formidables, ils m’adoraient et je leur rendais bien. Des types extraordinaires comme François Lhermoyé par exemple. Cette grande camaraderie m’a apporté beaucoup de plaisir.

Vous n’avez jamais eu envie d’aller dans la boutique d’en face, chez Matra ?

HG    Grâce à Elf, j’ai pu en essayer, elles n’avaient rien à voir avec nos Alpines, les monocoques étaient d’une telle rigidité dans les courbes, c’était du bonheur.

Je n’ai jamais compris qu’ils ne fassent jamais appel à moi, en mono notamment, j’étais Champion de France quand Matra a débuté. Ils ont fait appel à Beltoise , ça ok, il le méritait pleinement mais ils n’ont pas fait appel qu’à lui. Alors je ne sais pas si c’est vrai, parce que parfois mes souvenirs sont confus sur certains sujets, il paraitrait qu’à l’époque,  lorsqu’on avait été champion de France  F3 une fois, on ne pouvait pas l’être une deuxième fois ceci dans la mesure où c’est un titre de débutant. Il ce pourrait que cela soit la raison pour laquelle Matra ne m’ait pas engagé. Vos lecteurs nous diront si cette règle existait réellement ou non. C’est peut être aussi parce que je n’étais pas entré assez dans le milieu automobile en connaissant les gens influents,  à l’époque j’étais parmi  les meilleurs en monoplace.

Si j’avais un peu grenouillé, ce que je ne sais pas faire, j’aurais peut être intégré  l’équipe Matra et

l’histoire aurait changé, je me serais peut être tué en F1, mais ce n’est pas grave.

Comment pas grave ???

HG     Non , je serais arrivé à faire ce que je voulais le plus . Le but de tout coureur c’est de faire de la F1. On savait les risques encourus. Quand je me replace dans l’époque, je vous confirme ce que je dis : Je me serais peut être tué en F1, mais ce n’est pas grave.

On ne peut pas éluder Michel Vaillant, comment cette histoire est arrivée ?

HG     C’est tout simple, la production cherchait un pilote. Elle n’avait pas les moyens de tout faire en fiction, donc elle ne pouvait que suivre un pilote sur les circuits. Elle s’est adressée à la FFSA qui lui a proposé deux noms,  Jaussaud et moi  et elle m’a choisi. J’ai rencontré la productrice, on a fait un bout d’essai et on a commencé avant le début de la saison  à faire des scènes d’intérieur de pure comédie. Je dois dire que c’était dur, je ne suis pas comédien, je tournais avec  des acteurs professionnels, Claudine Coster, Robert Dhéran. J’essayais de rester naturel mais j’avais un petit complexe qui s’est effacé quand je me suis mis en combinaison sur un circuit. La c’était eux qui étaient moins à l’aise. Je me souviens au Mans, Dheran faisait le rôle de Crombac , on avait un dialogue tous les deux dans les stands  et un moment la productrice dit très fort à Dheran sur un ton de reproche : «  Mais enfin Robert soyez naturel, faites comme Henri ». Le pauvre, lui il faisait son métier pour gagner un peu de sous. Moi je faisais ça pour me marrer. Je suis tombé dans une équipe très sympa, j’ai tout de suite été copain avec le cameraman Robert Pouget, qui était passionné de sport automobile, il avait tourné « Un homme et une femme » avec Lelouch . Il s’est tué en Argentine en tournant un documentaire sur Fangio, accident d’avion. J’étais très copain également avec le preneur de son, il y avait Alain Leguellec qui était un bon pote. Par contre quand on tournait réellement sur les circuits, c’était plus compliqué. Nous vivions chez Alpine une période difficile, surtout en monoplace. Il fallait faire une scène alors que l’on avait des emmerdes sur la voiture, je sentais bien que ça gênait un peu l’équipe course.

Un moment que j’ai mal vécu, c’était à Monaco, avec la F3 Alpine, qui ne restait pas sur la route, j’étais sorti  en éliminatoire à la chicane et pour le feuilleton je devais gagner. A la fin de la course, ils m’ont filé un bouquet de fleurs dans les mains et il a fallu que je me ballade au milieu de la foule comme si j’avais gagné. Ca a l’air idiot comme ça, mais c’est difficile à vivre.

Ca n’a pas aidé à améliorer ma popularité chez Alpine, pas tous, loin de là, mais certains étaient jaloux, c’est indéniable. Quand le premier proto3 litresest sorti, qui était une extrapolation du M64, il y avait une photo dans Paris-Match , ils ont souhaité que ce soit moi sur la photo. C’était du positif pour Alpine, Quand Redelé a senti que j’étais en fin de carrière, il a pensé me confier les relations publiques d’Alpine. Ma notoriété acquise grâce à Michel Vaillant y était sûrement pour beaucoup. Il ne l’a pas fait parce qu’il y avait Claude Furiet à ce poste et qu’il ne pouvait pas faire ça à Claude, moi non plus d’ailleurs.

Il suffisait déjà à l’époque de montrer sa tronche à la télé pour connaitre la notoriété. Je m’en rendais compte lorsque 80% de ceux à qui je signais un autographe me demandaient : « Qui est-ce qui vous double dans la voiture ? », ils ne savaient pas que j’étais pilote. D’ailleurs quand je signais Grandsire, ils n’étaient pas contents, ils voulaient que je signe Michel Vaillant

Comment et pourquoi avez-vous interrompu votre carrière ?

HG  En 69, j’étais vraiment écœuré, la dernière course, ce fut Le Mans avec Andruet,  je ne sais plus quelle merde nous était encore arrivée, je suis parti avant la fin et j’ai entendu le final Ickx -Hermann à la radio  dans la voiture.

J’ai complètement coupé les ponts, alors que j’aurais pu poursuivre, comme Wollek ou Ballot-Lena, en GT, j’étais au moins aussi bon qu’eux, mais je crois que j’en avais marre, les accidents, les incidents à répétition, j’étais marié, basta !

Le Directeur de la Fédération, Blanchet m’a proposé de m’occuper des Commissaires de pistes, j’ai accepté la mission, ensuite j’ai été responsable de la sécurité. J’aimais bien, j’étais sur tous les circuits avec le brassard, je longeais les rails, à Monaco, c’était super impressionnant, la sortie du Casino, je prenais des photos au télé, je me régalais vraiment. J’ai arrêté en 74 pour monter en famille des affaires de prêt à porter. Nous avons notamment lancé la marque Jacadi.

Pendant toutes ces périodes, j’ai toujours fait beaucoup de sport, de toutes sortes, vélo, natation, ski, plongée en bouteilles, triathlon, golf.

Ce que j’aime avant tout ce sont les sports où il est nécessaire de gérer ses efforts, c’est pour cela que j’apprécie tout particulièrement la pratique du triathlon long.

Cela m’a amené à la fin des années 80 à m’inscrire à un truc de dingue, Passeport – Pulsion, c’était un Dakar-Nice Omnisport. Il y avait40 kmde planche à voile à Dakar, 1000km à moto, des Ténéré 650, un peu de Quad, une longue marche dans le désert du Ténéré. D’Afrique en Sicile en catamaran des Hobie-Cat, la Sicile à vélo, le détroit de Messine à la nage, ensuite à vélo jusqu’à San Remo et de San Remo à Nice sous forme de Marathon.

Celui qui avait organisé ça se prenait pour Sabine sans en avoir ni les épaules ni le charisme.

J’avais trouvé des sponsors, mais je doutais un peu quand même compte-tenu du fait que j’avais dépassé la cinquantaine et que c’était une sacré épreuve.

Hasard énorme, je suis invité par Jean Graton à la présentation de son nouvel album, j’y vais et je tombe sur Nicole Osso, la productrice du feuilleton Michel Vaillant. Je lui raconte que je m’étais plus ou moins inscrit à un rallye omnisport en Afrique. Elle me dit formidable on fait : Le Retour de Michel Vaillant et elle me propose de faire le film tout en me laissant le choix de le faire en compétiteur  ou de prendre une doublure pour les parties sportives. Moi comme un abruti j’ai dit d’accord mais pas doublé.

Ils m’ont suivi avec des caméras, c’était dantesque,  l’organisation était loin d’être à la hauteur des engagements.

C’était très dur, la première étape de moto  faisait 600 bornes, je suis tombé plusieurs fois jusqu’au moment où je suis tombé plus fort, le poids de la moto sur ma cuisse, je pouvais plus relever la moto, j’ai abandonné à Bamako.

Je dois avouer maintenant que si j’ai fait ce truc de fou c’est parce que mes copains m’avaient dit qu’il ne fallait pas que je fasse cette connerie, alors je l’ai fait.

Vous suivez encore les sports mécaniques ?

HG  Pour tout l’or du monde je ne louperais pas  un GP à la télé, essais libres, qualif, course, je ne manque rien, j’adore, de même pour la moto GP.

Je ne vais jamais sur les Grands Prix, je vois tout beaucoup mieux à la télé. Quand je les vois sous la pluie, comme Beltoise à Monaco, je me dis que ça, je n’aurais pas été capable de le faire.

 

Sur ces derniers mots je m’aperçois que malgré la désillusion d’une carrière  sportive pas totalement aboutie, la passion, l’enthousiasme et le plaisir du risque ne se perdent pas avec le temps qui passe.

En saluant celui qui m’aura accueilli si aimablement, je ne sais plus très bien si je serre la main au Champion de France, à l’homme d’affaires,  au retraité sportif  épanoui  ou à Michel Vaillant.

Cet homme discret et singulier  est finalement disert et pluriel.   

 

Jean-Paul Orjebin

Photo @ Jean-Paul Orjebin

(*) publié précédemment sur Mémoire des stands

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