Pour rebondir sur un débat récent de certains membres de MdS ayant trait au courage d’affronter le risque sur les pistes d’autrefois, admirons une fois encore celui qu’il fallut aux vingt pilotes en ce dimanche 4 août 1968 pour tenter d’être le plus rapide dans la purée de pois du Nürburgring.

 

Nürburgring, Pierre Ménard

« J’suis allée qu’une fois à Charenton. Il PLEU-VAIT ce jour-là » ! La gouaille parigote d’Arletty, attablée en 1938 dans la cuisine de l’hôtel du Nord, aurait pu convenir trente ans plus tard à une région de l’Eifel que vénèrent tous les fondus de sport automobile. On avait beau être en plein été, les conditions météorologiques sur le Ring étaient aussi désastreuses que lors d’un vilain mois d’avril : le brouillard enserrait les monts alentours et la visibilité n’excédait pas quelques (petites) dizaines de mètres. Et lorsque la pluie fit son apparition, ce fut le sauve-qui-peut général !

 

Si les voitures avaient réussi à tourner prudemment dans les nuages le vendredi, elles restèrent dans les garages le samedi matin. Le brouillard était si dense que les organisateurs paniqués  annulèrent tout bonnement toute activité : les courses mineures (tourisme, Formule V) furent purement supprimées et les pilotes traînaient désoeuvrés dans les allées, mains dans les poches en humant l’air chargé d’humidité d’un air grognon. Le danger inhérent à la course automobile est décuplé lorsqu’il pleut, mais en 1968 sur la Nordschleife du Nürburgring cette évidence prenait tout son terrible sens ! Même les plus courageux ressentaient la peur les envahir à l’idée d’affronter le Ring dans des conditions aussi mauvaises. Autant foncer dans le brouillard  à 250 km/h sur une route de montagne!

 

La situation semblait tellement insoluble que beaucoup se résignèrent à l’inactivité, tel Jean-Pierre Beltoise qui opta finalement pour un bon déjeuner dans une auberge à quelques encablures du circuit, persuadé qu’il était qu’aucun roulage ne pourrait avoir lieu dans ces conditions. Lorsque les nuages se firent un peu plus cléments dans le courant de l’après-midi, la ruche se mit soudain en branle et tout le monde s’élança à corps perdu sur la piste pour effectuer au moins les six tours réglementaires prévus au Ring pour pouvoir participer à la course. Revenu en catastrophe de son escapade gastronomique, Be-bel faillit bien être de la revue en voyant sa Matra tourner aux mains de Johnny Servoz-Gavin !

 

Nürburgring, Pierre Ménard

Trempé mais finalement heureux de voir enfin du spectacle, le public assista vaillamment aux nombreux travers et dérapages des princes de la vitesse obligés de composer avec une piste traîtresse que des prévisions météorologiques sombres annonçaient totalement détrempée pour le lendemain dimanche. Prudent, Jackie Stewart ne décrocha que le 6e temps lors de la toute dernière séance d’essai improvisée le dimanche matin, à 50 secondes derrière le poleman Jacky Ickx. Quelques heures plus tard, la fortune des deux hommes était diamétralement opposée.

 

Sa visière ayant été souillée d’huile, Jacky tenta vainement de piloter sous la pluie battante sans cette protection. Il rentra aux stands au bout de deux tours, ses rêves de victoires noyés dans les nuages de l’Eifel et les yeux rougis par la piqûre des milliers d’aiguilles glacées. De son côté, Jackie prit crânement la tête de l’épreuve dans le premier tour et accentua son avance durant les deux heures et quart que durèrent la course, tant et si bien que lorsqu’il émergea du brouillard salué par le préposé au drapeau à damiers engoncé dans son imper trempé et coiffé de son chapeau à plume, il fallut patienter plus de quatre longues minutes pour voir arriver le deuxième, Graham Hill ! « Stew » savait mieux que quiconque quels étaient les risques encourus dans ces conditions : deux ans auparavant sur un circuit encore plus dangereux que le Ring et dans les mêmes conditions climatiques, il aurait pu mourir ! Il décida alors de se battre âprement pour plus de sécurité, et fut vertement vilipendé par certains pour cela. Certes bien aidé par ses pneus Dunlop « pluie » supérieurs aux Firestone ou Goodyear de ses concurrents, et par un énorme tête-à-queue de Graham Hill à Adenauer Forst, Jackie Stewart terrassa bien plus que ses adversaires ce 4 août 1968 : il domina sa peur jusqu’à l’oublier pour voler triomphalement au-dessus des bosses de Flugplatz, Brünnchen ou Pflanzgarten, comme l’avait fait Fangio neuf ans plus tôt lors des derniers tours de son apocalyptique Grand Prix face aux Ferrari de Hawthorn et Collins. Nul doute qu’à l’instar du champion argentin, le jeune Ecossais eut du mal à trouver le sommeil le soir même.

 

Nürburgring, Pierre Ménard

Le lundi matin 5 août, un soleil resplendissant illuminait la campagne environnante enfin apaisée. Les derniers nostalgiques s’attardaient, qui à Adenau, à Quiddelbach ou à Breidscheid. On faisait sécher quelques toiles de tentes à Brünnchen ou à Adenauer Forst. Un petit groupe de jeunes Français enfilèrent leurs habits mouillés du week-end et montèrent dans leur Renault 4L pour continuer leur périple de vacances qui devait les voir traverser l’Europe. Avant de quitter le massif de l’Eifel, ils décidèrent de profiter du beau temps revenu pour s’offrir ce que seul le Nürburgring proposait alors en tant que circuit en activité : effectuer moyennant quelques deutschemarks un tour du tracé mythique.

Alors, tout au long des montées et des descentes où subsistaient ça et là quelques flaques témoins du déluge descendu les jours précédents, le rideau obturateur du petit appareil Kodak coulissa, coulissa et coulissa…

 

Pierre Ménard

 

 

* : publié sur le site Mémoire de stands

 

Légende des photos en fin de texte :

1 – Nürburgring 1968, Quiddelbacher Höhe © Pierre Vassal

2 – Nürburgring 1968, Breidscheid © Pierre Vassal

3– Nürburgring 1968, Brünnchen © Pierre Vassal

 

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