30 mai 2019

Cinéma et course automobile, par Johnny Rives

Quand la course automobile fait son cinéma

Etes-vous Avignon ou Cannes ? Si l’automobile a parfois traversé de façon tragique l’histoire du Festival d’Avignon, elle n’y  a pénétré que par effraction.  Il en va différemment du cinéma dont elle a accompagné l’essor. En toile de fond,  en second rôle, en actrice principale ou en fait divers.

Pourtant lorsqu’il y est question de course automobile, comme le dit Johnny Rives  » Pour plaire au plus grand nombre, les  grosses productions hollywoodiennes (Le Cercle Infernal, Grand Prix, Le Mans) ont généralement déçu les puristes ».

En cette quinzaine cannoise, marquée par la sortie du nouveau film de Claude Lelouch  » Les plus belles années d’une vie » mettant en scène les personnages du magnifique « Un homme, une femme », il nous a paru intéressant de publier cet article de Johnny Rives inédit chez nous. Il est extrait de l’ouvrage « Intégrale Michel Vaillant », Tome 20.  Avec l’autorisation des Editions Graton et de Johnny, nous avons le plaisir d’y revenir. Nous les en remercions.

                                                                        Classic Courses

Cinéma et course automobile

Le cinéma joue souvent de nos émotions avec talent. Paradoxe : pourquoi a-t-il aussi souvent manqué ses rendez-vous avec la course automobile?

 Agée de plus d’un siècle, celle-ci est pourtant riche d’une Histoire que peu d’autres activités sportives peuvent revendiquer… En outre, son succès populaire ne se dément guère. Les Grands Prix, les 24 Heures du Mans, les 500 Miles d’Indianapolis provoquent un énorme et incontestable intérêt – pour ne citer que les épreuves les plus fameuses. Plus exigeants pour les spectateurs, qui, à défaut de régler leur place au guichet doivent payer de leur personne pour en atteindre les hauts lieux, les rallyes attirent également des foules de passionnés à l’enthousiasme parfois déraisonnable. Pour les courses en circuit, les retransmissions télévisées offrent des images saisissantes grâce aux caméras à bord ou encore aux replays permettant de décortiquer et de mieux comprendre les circonstances les plus confuses.

 Autant d’éléments qui devraient constituer une mine inépuisable de scenarii passionnants. Or, force est de déchanter. Les romances sentimentales ont inspiré des films inoubliables (Autant en emporte le vent, La route de Madison). Même chose pour les intrigues policières ou encore les guerres d’époques les plus variées (L’assassin habite au 21, Les sentiers de la gloire, Apocalypse now). Pour ne rien dire des comédies burlesques que la télévisions nous ressert régulièrement avec un succès que rien ne semble éroder (La Grande Vadrouille , Le Corniaud). En revanche, parmi les chefs d’œuvre du cinéma, on serait bien en peine de citer un film concernant la course automobile.

Le cercle infernal

Cinéma et course automobile

Le cercle infernal – 1955- Richard Hataway @DR

 Le premier qu’il m’ait été donné de voir fut « Le Cercle Infernal » (en anglais : « The Racers ») d’un des réalisateurs les plus réputés d’Hollywood : Henry Hathaway. Il avait été inspiré par le roman éponyme de l’écrivain suisse Hans Ruesch, qui avait été pilote lui-même lors de la fameuse époque dite des Titans, avant guerre, parmi les Rosemeyer, Nuvolari et autres Caracciola – avec lesquels, soyons précis, il ne prétendit jamais rivaliser.

 Hathaway avait fait appel à Kirk Douglas pour incarner le héros de son histoire. Tourné en 1954 ce film reflète la course telle qu’elle se situait alors. En tout cas au strict plan des voitures : monoplaces ou barquettes sport, toutes étaient à moteur avant. Et la plupart du temps de couleur rouge, car l’Italie dominait à l’époque avec ses Ferrari et ses Maserati. Dans le film, la firme vedette s’appelle Burano. Et son leader Gino Borgesa. Des noms qui sonnent vrai, encore que l’orthographe du nom du héros gagnerait à être Borghesa afin d’être prononcé « Borguésa » plutôt que « Bordjésa ».

 De l’héroïne, on ne connaît que le prénom : Nicole. Elle est incarnée par une actrice d’origine polonaise, et de nationalité suisse, Bella Darvi – dont la vie amoureuse a été assez turbulente et les dernières années d’existence dramatiques. Borgesa et Nicole se rencontrent dans une circonstance donnant un éclairage éloquent concernant la véracité des évènements à venir : elle assiste au G.P. de Monaco auquel Borgesa participe avec sa Frazer-Nash sport (en 1952, l’épreuve monégasque avait été réservée aux voitures de cette catégorie) quand le petit caniche ( ?) qu’elle tient en laisse lui échappe… Pour l’éviter Borgesa va au décor.

 A cet instant de l’histoire, Borgesa est pilote indépendant. Il a pour tout assistant un sympathique (évidemment) mécano et leur véhicule de travail est une camionnette Simca Aronde – une curiosité, aujourd’hui. D’ailleurs le plus grand intérêt du film réside dans les voitures, de course ou non. Il constitue une excursion dans le temps assez satisfaisante pour les nostalgiques des époques passées.

Cinéma et course automobile

Le cercle infernal – 1955- Richard Hataway @DR

 Quand Borgesa sera devenu l’un des pilotes en vue de la Scuderia Burano, un de ses adversaires, plus jeune que lui, va piétiner ses plates-bandes – tant au volant que dans leur vie sentimentale, bien sûr.

 Ce séduisant garçon (Dell’Oro) incarné par l’acteur Gilbert Roland, Mexicain en dépit de son nom de scène francophone, devra affronter les assauts que Borgesa n’hésitera pas à lui livrer à coups de roues, en pleine vitesse, pendant une course… C’est alors que le beau visage de Kirk Douglas confine à la caricature tant l’acteur joue de son regard et de ses mâchoires volontaires pour, tout en pilotant, exprimer ses sentiments à l’égard de son rival.

 Dans le calendrier sportif du Cercle Infernal, les protagonistes n’affrontent pas que les Grands Prix. Les fameuses Mille Miglia italiennes sont également au programme – cette course sur routes (fermées) qui parcourait la péninsule de Brescia à Rome par la côte Adriatique à l’aller, puis par les Apenins au retour. Un des morceaux de bravoure de cette course concerne le passage sous l’Arc de Ravenne, si étroit que la barquette Burano biplace y cabosse ses ailes. En revanche, le puriste aura du  mal à retenir son sourire quand, dans leur duel, le pilote ouvrant la route empiète grossièrement sur le bas-côté pour mitrailler son poursuivant de gravillons !

 L’aspect le plus positif du film concerne les vues authentiques des courses de l’époque dont il est émaillé, hélas trop parcimonieusement. A l’image de ce plan, extrêmement bref, réalisé à partir d’une camera montée à bord d’une Maserati avec laquelle le pilote suisse Toulo de Graffenried avait pris le départ du G.P. de Belgique 1954 en dernière ligne. On entrevoit le peloton aborder le Raidillon de l’Eau Rouge. Pour aussitôt passer à des gros plans réalisés en studio.

 S’il était édité en DVD, nous ne déconseillerions pas forcément aux amateurs de se le procurer. Car si l’on fait abstraction de l’intrigue, digne d’un roman-photo, il reste les images de voitures certes obsolètes, mais qui accrochent toujours le regard et l’intérêt d’une large catégorie d’amateurs. Les belles carrosseries n’ont pas d’âge…

Ligne rouge 7000

Cinéma et course automobile

Ligne rouge 7000 – 1965 – Howard Hawks @ DR

 Un autre « grand » d’Hollywood a approché la course automobile en réalisant « Ligne rouge 7000 » : Howard Hawks, qui nous avait tant régalé avec son western Rio Bravo où l’humour prévalait sur le drame sans l’éclipser. J’ai vu « Ligne rouge » mais ne parviens pas à en faire émerger la moindre image spectaculaire de ma mémoire.

 Si je me fie à certains propos relevés sur internet, James Caan, qui tenait le rôle principal, a fait beaucoup mieux depuis. L’intrigue est axée sur les tourments partagés par trois femmes (ou fiancées) de pilotes de NASCAR qui risquent leur vie tous les dimanches ou presque sur les grands anneaux de vitesse américains.

Cinéma et course automobile

Ligne rouge 7000 – 1965 – Howard Hawks @ DR

 Le seul souvenir précis que je conserve à propos de ce film, je le dois à Jean-Pierre Beltoise. Il y a bien longtemps de cela, je lui avais proposé de venir y assister chez moi un soir où une chaîne de télévision avait cru bon de l’inscrire à son programme. Il n’avait pas fallu un quart d’heure pour que Jean-Pierre s’excuse : « J’ai pas mal à faire, il faut que j’y aille… »

 Tout était dit.

 The last american hero

Cinéma et course automobile

The last american hero – 1973 – Lamont Johnson @ DR

 Un autre film ayant pour cadre les spectaculaires courses de NASCAR fut réalisé quelques années plus tard : « The last américan hero ». Beaucoup moins mélodramatique que le précédent et abordant avec un certain réalisme les difficultés d’un jeune et ambitieux pilote qui veut se faire une place parmi l’élite de ce sport. Celui-ci est incarné par Jeff Bridges, excellent et crédible. Il paraît que ce film à été inspiré par la véritable histoire d’un des plus fameux « hot dogs » (tel était le surnom des champions des courses de stock-car) des années 1960, Junior Johnson – dont il porte presque le nom dans le film : Junior Jackson !

 Le réalisateur, Lamont Johnson, est peu connu en Europe car il a surtout travaillé sur des téléfilms ou des séries télévisées. Mais dans cette œuvre cinématographique, il n’a trahi personne – à commencer par les spectateurs. Il faut lui en rendre hommage.

 Au début du film, on assiste à des poursuites épiques, car le tout jeune Jackson est chargé des livraisons de la gnole fabriquée par son père, bouilleur de cru hors la loi ! Le shérif du comté veut les prendre sur le fait, bien sûr. D’où des poursuites pittoresques sur des chemins de forêt improbables ! La conduite sportive, voilà qui passionne notre héros. Il abordera les circuits avec des voitures peu couteuses – les seules à la portée de ses possibilités financières. Des courses ? Ce serait trop dire… Il s’agit des « démolition derbies ». Tout y est permis, c’est le dernier qui roule qui gagne…

Cinéma et course automobile

The last american hero – 1973 – Lamont Johnson @ DR

 Quand il accède enfin aux vraies courses, sa rage de s’imposer n’a d’égale que sa naïveté. En est témoin la romance qu’il établit avec la secrétaire de l’organisation des courses (l’actrice Valerie Perrine), sans se douter qu’elle entretient déjà une « love affair » avec l’as des speedways, Kyle Kingman (Williams Smith). Son but est évidemment de détrôner Kingman. Pas facile, bien sûr. Mais à force d’obstination et de ténacité, il progresse. Jusqu’à enfin remporter la victoire qui va lui permettre de devenir le champion qu’il rêvait d’être. Ultime subtilité du film : sa déconvenue quand, en conférence de presse, il constate que les journalistes sont plus gourmands de connaître les raisons de la défaite (ce jour là) de Kingman que celles de sa propre victoire…

 Si je devais établir une hiérarchie, c’est ce film que je mettrais tout en haut de l’échelle. Avec une bande de copains, nous l’avions découvert avec un réel plaisir dans une salle d’art et d’essai parisienne, le Studio Olympic. Evidemment, il n’a eu aucun succès public – sans doute était-il trop nuancé pour plaire au grand public qui se fait une idée des courses et des pilotes parfois éloignée de la réalité. Le jour où nous l’avions découvert, nous nous étions dit que sans notre petit groupe il y aurait eu… deux spectateurs dans la salle !

Grand Prix

Cinéma et course automobile

Grand Prix – 1966 – John Frankenheimer @ DR

 Trop de véracité, de sobriété, peut-il nuire au succès d’un film sur la course, là où le spectateur lambda guettera d’aiguës rivalités, des larmes et du sang ? C’est possible, comme semble le prouver l’excellent souvenir qu’un large public conserve du fameux « Grand Prix », de John Frankenheimer, tourné en 1966. Avec l’accord de ses producteurs, Frankenheimer s’était lancé dans une entreprise ambitieuse, dont le coût fut estimé à 9 millions de dollars… de l’époque.

 Tout d’abord en choisissant un format coûteux – Super Panavision, pellicule de 70 millimetres, pour projection en cinérama sur de vastes écrans galbés. Puis en réunissant un impressionnant casting international. Steve McQueen devait initialement assurer le rôle principal, mais des désaccords avec Frankenheimer survinrent et c’est à James Garner que revint la charge de jouer Pete Aron, le héros de l’histoire. Aron c’est presque Amon et Garner arbore d’ailleurs un casque décoré comme celui du Néo-Zélandais – resté fameux pour sa légendaire malchance : quoique rival très redouté par tous les as des années 1960 (Clark, Hill, Rindt), il n’a jamais gagné le moindre Grand Prix !

Cinéma et course automobile

Grand Prix – 1966 – John Frankenheimer @ DR

 Aux côtés de James Garner, les principaux pilotes de cette histoire sont Jean-Pierre Sarti (Yves Montand), Scott Stoddard (Brian Bedford) et Nino Barlini (Antonio Sabato). Evidemment les femmes sont bien présentes dans les stands des circuits – et dans les lits des pilotes… Les rôles féminins principaux sont tenus par Eva Marie Saint (une reporter chargée d’enquêter sur ce qui pousse les pilotes à affronter les dangers, fort nombreux à cette époque – 1966), Jessica Walter (la femme de Stoddard, qui sera séduite par Pete Aron tandis que son mari subit une longue hospitalisation après un terrible accident à Monaco) ainsi que la diaphane Françoise Hardy dont la gracile silhouette paraît bien fragile dans cet univers plein de bruit et de fureur…

 Pour tout amateur de cinéma, la grande curiosité du casting de « Grand Prix » concerne Toshirô Mifuné. L’inoubliable fédérateur des tout aussi inoubliables « Sept Samouraï » incarne ici le directeur d’une écurie japonaise où Pete Aron trouvera refuge après avoir été écarté de son écurie britannique, à cause de l’accident de Stoddard dans lequel il a été mis en cause.

 Outre des acteurs de réputation mondiale, Frankenheimer a eu recours à la collaboration de nombreux pilotes de l’époque, au titre de conseiller (dont le plus actif fut Phil Hill), voire pour faire de la figuration. On garde le souvenir d’une scène, dans le restaurant de l’Eau Rouge à Francorchamps, où les pilotes réunis en assemblée comme pour le GPDA – association des pilotes de GP – reviennent sur le comportement discutable de l’un d’entre eux. Graham Hill en profite pour faire une mimique qui en dit long sur le pince sans rire qu’il était.

 Bien sûr de vrais pilotes ont également été retenus pour mener de façon vraisemblable les « fausses F1 » utilisées pour le film. Il s’agissait de F3 maquillées, dont les capots moteurs hérissés de trompettes d’admission factices et de faux échappements cachent en réalité de petits moteurs à 4 cylindres de 1000 cm3. Il fallait cependant des pilotes habitués à suivre de bonnes trajectoires pour que le comportement de ces fausses F1 soit crédible.

 Si Montand cédait volontiers sa place pour les scènes d’action, tel n’était pas le cas de James Garner. On raconte que Montand grimpait sans hésiter dans un faux-châssis que remorquait une Ford GT 40 à des vitesses parfois élevées, alors qu’il refusait de prendre lui-même le volant pour les scènes filmées en plans rapprochés.

 Montand qui, dans les scènes de pilotage, n’hésitait pas à grimacer un peu comme l’avait déjà fait Kirk Douglas dans Le Cercle Infernal. Aujourd’hui que l’on est habitué à voir le masque impassible des Loeb, Solberg, Latvala et consort grâce aux caméras à bord placées dans les voitures de rallye, ces grimaces paraissent encore plus ridicules qu’à l’époque.

Cinéma et course automobile

Grand Prix – 1966 – John Frankenheimer @ DR

 Si la trame de l’histoire et les dialogues ne valent guère mieux qu’un mélodramatique feuilleton télévisé (soap opéra), le plus grand mérite de « Grand Prix » est de reproduire des scènes d’action dont le public s’est montré friand. C’est encore le cas aujourd’hui, même si l’aspect des F1 a considérablement évolué depuis l’époque du tournage. Ici pas de scène filmée en studio avec à l’arrière plan une projection de piste par transparence, comme dans Le Cercle Infernal.

Toutes les scènes ont été tournées à Monaco, Clermont, Brands Hatch, Zandvoort, Francorchamps et, cerise sur le gâteau, à Monza. Là, Frankenheimer s’est offert le luxe d’imaginer un G .P. d’Italie utilisant la totalité du circuit de Monza – anneau de vitesse compris.

 Mais la véracité a ses limites, et les oreilles d’un connaisseur auront du mal à accepter le couinement des pneus en zone de freinage en voyant un pilote accélérer en émergeant d’un virage. Autre scène cocasse : un gros plan sur un pied qui soudain, en pleine ligne droite, écrase tout à coup l’accélérateur parce que le pilote vient de décider de doubler l’adversaire qui le précède ! C’est ignorer qu’en ligne droite un pilote est toujours à fond !

Malgré les nombreuses réserves exprimées par les puristes, Grand Prix reste au regard d’un nombre important de spectateurs la meilleure réussite cinématographique concernant la course automobile.

Le Mans

Cinéma et course automobile

Le Mans – 1971 – Lee H. Katzin @ DR

 Encore que pas mal de suffrages expriment leur préférence en faveur du « Le Mans », de Steve McQueen.  « De » Steve McQueen est une approximation, car l’acteur ne fut pas le réalisateur officiel de l’œuvre. Mais il en fut la cheville ouvrière. Après avoir manqué « Grand Prix », lui, grand amateur de conduite sportive – que ce soit à moto ou en voiture – ne pouvait manquer de s’impliquer dans un film sur la course. On l’avait vu au guidon d’une moto dans « La Grande Evasion », et au volant d’une Ford Mustang dans « Bullitt » – bien que dans ces deux films il ait été supplée par un cascadeur pour les scènes les plus audacieuses.

 Mais piloter, il savait. Il l’avait démontré avec brio en se classant 2e des 12 Heures de Sebring 1970 à bord d’une Porsche 908 en équipe avec Peter Revson. Cet équipage inattendu n’avait été devancé que par la Ferrari 512 de Mario Andretti au terme des 12 heures de ronde. McQueen voulait également rouler aux 24 Heures du Mans la même année au volant de sa Porsche 908 bardée de caméras, mais la production le lui refusa pour des questions d’assurance et la Porsche fut confiée à Herbert Linge et Jonathan Williams.

 Pour la réalisation de « Le Mans », il fut d’abord fait appel à John Sturgess que McQueen avait côtoyé avec succès dans deux films qui sont devenus cultes : « Les Sept Mercenaires », puis « La Grande Evasion ». Mais des désaccords survinrent rapidement entre  les deux hommes et Sturgess se retira peu après le début du tournage. Il fut supplée par Lee H. Katzin, moins connu.

 Le casting n’était pas non plus aussi spectaculaire que celui de Grand Prix. Pour incarner son adversaire principal, McQueen fit engager l’acteur allemand Siegfried Rauch avec lequel il était très ami (il était le parrain de son fils Jakob), surtout connu pour avoir tourné dans un nombre élevé de séries télévisées.

 Le rôle principal féminin revint à Elga Andersen, qui avait énormément tourné avant ce « Le Mans » (on l’avait aperçue dans « Ascenseur pour l’échafaud ») mais dont la carrière ne se prolongea guère plus tard. On relèvera encore dans la distribution le nom de l’acteur français Luc Merenda.

 L’action consistait à recréer un duel Porsche-Ferrari dans le cadre même des 24 Heures. Si pour les séquences d’accidents, de plus banales Lola-Chevrolet T70 furent maquillées en ces prestigieuses voitures, pour les autres vues ce sont bien de vraies Porsche 917 et Ferrari 512 M qui ont été utilisées. Porsche fournit les 917, peintes aux couleurs Gulf, mais Ferrari refusa d’en faire autant pour les 512 car dans le film ce sont les Porsche qui gagnent – comme ce fut d’ailleurs le cas dans la réalité.

La production recourut donc à Jacques Swaters, importateur Ferrari en Belgique et directeur de l’écurie Francorchamps qui, depuis une quinzaine d’années, faisait courir des Ferrari.

Parmi les voitures complétant le plateau du film, figurait une Matra 630 barquette que J.P. Jabouille fut chargé de conduire. Ce qu’il fit avec un grand plaisir pendant plusieurs semaines, cela sans aucun souci mécanique. Au point qu’il se montra très optimiste sur les chances des deux Matra 650 qui allaient être engagées dans le Tour de France automobile. Effectivement, en 1970 et 1971 les Matra s’adjugèrent cette belle épreuve routière qui comportait des escales sur la plupart des circuits français.

Cinéma et course automobile

Le Mans – 1971 – Lee H. Katzin @ DR

 D’autres pilotes que Jabouille participèrent au tournage de « Le Mans ». Et notamment Derek Bell, qui subit des brulures relativement sérieuses un jour où la Ferrari qu’il manœuvrait dans la perspective d’une scène prit feu. Le sinistre fut rapidement circonscrit. Plus sérieux fut l’accident subi par un autre pilote professionnel, David Piper, au volant de sa propre 917 : il reçut une profonde coupure à une jambe, laquelle fut infectée par du liquide de frein ayant coulé sur la plaie. Au point que le pauvre Piper dut être amputé de la jambe gauche…

 La trame romanesque du film tourne autour d’une question : continuer à courir en dépit des grands dangers de la compétition, ou non ? C’est le cas de Michael Delaney (Steve McQueen) aussi bien que de Claude Aurac (Luc Merenda) qui a une liaison avec Lisa Belgetti (Elga Andersen) l’ancienne femme d’un pilote décédé en course un an plus tôt et que taraude cette question – qui revenait souvent à cette époque dangereuse : pourquoi courent-ils ?

 Les dialogues passent au second plan de ce film principalement axé sur l’action. Si l’on se réfère au Cercle Infernal et à Grand Prix, c’est une bonne chose. La critique que l’on émettra sur l’action elle même concerne les accidents qui se résument trop caricaturalement à des explosions de voitures disparaissant dans des boules de feu. Certes l’accident du malheureux John Woolfe survenu un an plus tôt au volant d’une Porsche 917 témoigne du danger que constituaient les incendies à cette époque. Heureusement, ils ne se résumaient pas à cela.

 Pour une large frange du public, il s’agit du meilleur film centré sur la course.  Paradoxalement, ce film n’aurait pas laissé le meilleur souvenir à McQueen qui avait si ardemment souhaité sa création. Pas mal de conflits avec les réalisateurs et même une amorce de grève de toute l’équipe technique lui auraient laissé un goût amer.

Un homme et une femme, Bobby Deerfield et … Michel Vaillant

Cinéma et course automobile

Michel Vaillant – 2003 – Louis-Pascal Couvelaire @ DR

 Ces trois films appartiennent à une catégorie marginale par rapport aux précédents. S’ils sont concernés par la course automobile, c’est de manière plus anecdotique. Ainsi « Michel Vaillant » est avant tout un film d’aventures destiné à un public très jeune. Certes l’action se déroule lors des 24 Heures du Mans, mais elle se démarque de la vraie compétition en faisant appel à des épisodes tenant plus du thriller que d’un reportage sur le sport automobile.

Sabotages, enlèvements, conflits émaillent la trame de l’histoire au delà de toute véracité documentaire, avec d’un coté les bons et de l’autre les méchants. La victoire des bons ne tient qu’à un fil. Elle se déroule dans un final que les duels les plus serrés de l’histoire des 24 Heures ne nous ont jamais offert… heureusement !

Cinéma et course automobile

Un homme une femme – 1966 – Claude Lelouch @ DR

Tout autre est le film « Un homme et une femme » réalisé en 1966 par Claude Lelouch, une romance très réussie dans laquelle Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée se partagent la vedette. Le premier, par parenthèse neveu du champion Maurice Trintignant, tient le rôle d’un coureur automobile… qu’il deviendra lui-même quelques années plus tard. Il tombe amoureux d’une femme extrêmement séduisante mais leur idylle a du mal à se concrétiser tant l’héroïne est hantée par le souvenir de son mari décédé.

Cinéma et course automobile

Un homme une femme – 1966 – Claude Lelouch @ DR

Les belles images de Claude Lelouch ainsi que l’inoubliable musique de Francis Lai ont magnifié cette plausible histoire d’amour. La course ? Elle y apparaît en filigrane quand Jean-Louis Trintignant participe au Rallye Monte-Carlo au volant d’une Ford Mustang. Il y a également des images de Montlhéry ainsi que des 24 Heures du Mans. Mais toutes ces actions ne sont là qu’en toile de fond. Elles pimentent le film qui devint, non sans raisons, un succès mondial.

Cinéma et course automobile

Un homme une femme – 1966 – Claude Lelouch @ DR

 Si « Un homme et une femme » était l’œuvre d’un jeune cinéaste, « Bobby Deerfield », dix ans plus tard, fut signé par l’un des réalisateurs les plus fameux d’Hollywood : Sydney Pollack. Comme dans le film de Lelouch, la course automobile n’est là qu’en toile de fond pour une romance entre un pilote (Al Pacino) et une jeune femme (Marthe Keller).

 Une romance beaucoup moins épurée – plus bavarde – que celle de Lelouch à propos de laquelle les opinions du public vont du meilleur jusqu’au pire. Pour les uns, il s’agit d’une histoire d’amour magnifique digne de « Love Story », pour d’autres d’un mélodrame ridicule comme… leur était déjà apparu « Love Story » !

Cinéma et course automobile

Bobby-deerfield-1977-Sydney-Pollack @ DR

L’histoire de « Bobby Deerfield » est tirée d’un roman d’Erich Maria Remarque (prix Nobel de littérature avec  son fameux « A l’ouest rien de nouveau » qui lui valut de fuir l’Allemagne nazie avant d’adopter la nationalité américaine en 1947). Il fut publié en 1961 sous le titre « Le ciel n’a pas de préféré ». Il s’agit de la rencontre d’un homme qui risque fréquemment sa vie par pure passion (il est pilote de course) avec une femme qui, il  le découvrira progressivement, dévore passionnément la sienne simplement parce qu’elle est en phase terminale d’une grave maladie. D’où le titre.

Cinéma et course automobile

Bobby-deerfield-1977-Sydney-Pollack @ DR

Pollack n’a sans doute pas mis la subtilité dont avait fait preuve Lelouch pour raconter la liaison amoureuse entre Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée. D’où les diatribes que son film lui a values, du style « dialogues et situations insipides ».  Les critiques se sont manifestées jusqu’à l’interprétation d’Al Pacino, qui avait pourtant été encensé pour sa prestation dans « Le Parrain ».

 Ça n’était pas la première fois qu’un roman à succès débouchait sur un film contestable. Dans le sujet qui nous concerne ici, tel avait déjà été le cas du « Cercle Infernal », inspiré par  le roman du Suisse Hans Ruesch. Celui-ci savait de quoi il parlait, ayant lui-même été pilote dans les années 1930. Le plus souvent au volant d’Alfa Romeo privées, il avait côtoyé les Mercedes et Auto Union qui régnaient sur les Grands Prix. Son livre se rapporte à cette période, avec pour principal défaut de ne pas recourir aux noms véritables des pilotes ou des écuries de cette époque mythique. Cela l’éloigne de la réalité.

 Tel ne fut pas le cas du roman qui, à mon sens, reste – et de loin – le plus fascinant à avoir été écrit sur la course automobile : « Les princes du tumulte » de Pierre Fisson (1950). L’auteur, qui avait obtenu le prix Renaudot en 1948 avec « Voyage aux horizons »,  a eu le privilège de suivre l’écurie Gordini pendant quelques mois. Cela lui a inspiré l’idée d’une histoire dans laquelle il introduit un pilote imaginaire, Jean-Pierre L’Archange, dans le monde des Grands Prix.

 Ainsi nous l’accompagnons auprès des authentiques pilotes de l’écurie Gordini de l’époque (Trintignant, Manzon et André Simon), nous côtoyons les habiles et pittoresques mécanos de celui que la presse française avait surnommé « Le Sorcier ». Et, bien sûr, nous vivons de près la façon d’aborder les courses aussi bien que les exploits des plus grands champions de cette époque : Fangio, Ascari, Farina, Sommer.

 L’arrivée de Jean-Pierre L’Archange dans les ateliers de Gordini, boulevard Victor à Paris, son voyage à bord du camion Lancia vers Monaco où il va débuter dans l’écurie « bleue », ses émotions, ses courses, ses rencontres : tout est traité comme un reportage d’où les sentiments ne sont pas exclus. Des extraits ?

 « A la sortie d’un virage, le camion ayant changé de route, la lune fut en plein sur l’arrière. Assez lumineuse pour restituer presque exactement la couleur bleu clair de la carrosserie. Par l’un des hublots, Jean-Pierre, émerveillé, contempla encore sa voiture. »

 « Depuis quelques minutes, Gordini et Lesurque évitaient de regarder en face les pilotes. De leur côté, ceux-ci s’enfonçaient dans une étrange solitude. C’était l’instant désœuvré avant l’action. »

 « La pluie battait de plus en plus les verrières. Simon retroussa ses lèvres et fit le simulacre de mordre le poignet de Robert.

 – T’es dingue ?

 – C’est la pluie, dit Simon. J’aime pas patiner. »

  « En un seul paquet, les dix-neuf voitures entraient dans le premier virage. Les trois Alfa étaient de front, avec quatre mètres d’avance sur les Ferrari. Ce fut comme un ballet se déployant. »

 La lecture de ce livre, à une époque où la télévision était balbutiante, donc où les images de course étaient rarissimes, m’avait fait entrer de plain pied dans le monde de la course, avec tout ce qu’il contenait de fascinant. Cela déclencha ma vocation. Les livres du journaliste-pilote belge Paul Frère allèrent  un peu plus tard dans le même sens.

 Aujourd’hui que les images de course affluent sur les écrans télés, les choses ont considérablement évolué. Reste à savoir si cette richesse d’informations visuelles n’aggrave pas la difficulté de ceux qui, au cinéma ou en littérature, voudraient bâtir une histoire à la fois réaliste et passionnante à partir de leur sport préféré.

(NB.- Papier écrit  avant, bien avant, la sortie de Rush)

copyright texte :© J. Rives/Graton Éditeur/Le Lombard 

 

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