24 juillet 2017

Les 70 ans de Ferrari – 1977

1977, La 312 T2 Championne du monde

Dans la gamme des 312 T championnes du monde durant la deuxième partie des années 70, la Ferrari T2 de 1977 ne fut pas la plus performante face à la concurrence. Mais elle fut d’une fiabilité exemplaire et permit à Lauda de gagner un deuxième titre mondial dans des conditions assez difficiles à tous points de vue. C’est peut-être en cela qu’elle est une voiture exemplaire, une voiture dont la genèse remonte à pas mal d’années en arrière.

Pierre Ménard

CC Ferrari 1977 1Lauda sur sa 312 T2 au Grand Prix d’Allemagne 1977 © Guy Royer

Les Ferrari 312 T2 de 1976 puis 1977 dérivaient de la T, qui elle-même descendait de la lignée des B. Dont une en particulier, la fameuse et singulière B3 « spazza neve ». Car tout est vraiment parti de cette monoplace atypique que tout le monde pensait être la nouvelle arme de Maranello en 1972, et qui pourtant n’avait en fait été construite qu’en tant que « voiture expérimentale à large surface d’appui ». C’est ainsi que Mauro Forghieri, le directeur technique de la Scuderia depuis 1962, l’avait voulue, contrairement à tout ce qui a pu être écrit et dit à l’époque.

CC Ferrari 1977 2

La B3 « Spazza Neve » au Paul Ricard fin 1972 © DPPI

La révolution était arrivée en 1970 avec l’introduction du tout nouveau V12 à plat qui allait devenir la nouvelle religion à Maranello, tant en F1 sur les 312 B qu’en prototypes sur les 312 PB, ainsi que sur le modèle routier amiral à venir, la 365 GT4/BB. En Formule 1, la B se montra extrêmement prometteuse dès sa première saison en 1970, mais ces promesses furent grandement balayées en 71 et 72 par des problèmes insolvables de pneumatiques et de suspensions. Le « casino » frôlait la zone rouge à la Scuderia et Mauro Forghieri en profita pour faire fonctionner ses cellules grises. Il avait remarqué que les F1 de l’époque étaient encore les dignes filles de celles des années soixante, cigares effilés à surface au sol très réduite. A ce moment précis, les protos 312 PB en sport (conçues par lui) étaient triomphatrices : or ce n’étaient, ni plus ni moins, que des F1 carrossées en proto qui possédaient le même Flat-12 3 litres que les 312 B2 mais une surface au sol deux fois plus grande que celle d’une F1 « normale ». Pourquoi alors ne pas faire une étude sur une F1 de cette largeur qui génèrerait une grande déportance et donc une dépression à l’arrière (1) pourvoyeuse de vitesse de pointe ? D’où cette B3 « Spazza neve » (2) dévoilée aux essais du Grand Prix d’Italie 1972 à Monza. Et ce fut bien là l’erreur de communication des gens de Ferrari, car ce fut évident pour la presse et le public : on tenait là la nouvelle F1 de la Scuderia prête à ferrailler en 1973 contre les Tyrrell, Lotus ou autre McLaren. Non seulement la « pelle à neige » ne courut pas puisque non conçue pour, mais elle disparut totalement des circuits, et fut remplacée en 1973 par une aberration dont Forghieri n’était pas responsable : la 312 B3 « Thompson ».

La raison revient à Maranello

Cette année 1973 fut le summum de la déroute chez Ferrari : Forghieri renvoyé à ses « études » par un Enzo Ferrari quelque peu déboussolé par ce que lui glissaient à l’oreille ses courtisans, la nouvelle B3 construite en Angleterre chez John Thompson (quelle idée !) révéla rapidement toutes ses lacunes : première véritable monocoque de la marque certes, elle était néanmoins lourde, peu rigide et son aérodynamique très datée posait des problèmes de refroidissement du Flat-12. Bref, tout alla tellement de travers cette saison (3) que le président de FIAT Gianni Agnelli tapa du poing sur la table et ordonna qu’on retrouve la raison à Maranello… et vite ! Un jeune aristocrate romain formé chez FIAT, Luca Cordero di Montezemolo, prit la direction sportive de l’écurie, tous les programmes autres que la Formule 1 furent purement annulés et Mauro Forghieri fut rappelé aux affaires pour essayer de sauver ce qui pouvait l’être dans les derniers Grands Prix. Il transforma la B3 en B3/B4 (il l’appelle ainsi avec raison tant elle n’avait rien à voir avec la piteuse Thompson) en se basant sur son étude de monoplace large qu’il affina durant l’intersaison pour en faire  la future Formule 1 pour 1974.

Regazzoni sur la B3/B4 au Grand Prix d’Allemagne 1974 © DR

La 312 B3/B4 ramena Ferrari sur le devant de la scène, grâce à l’excellent travail fourni par l’équipe technique et les nouveaux pilotes Regazzoni et Lauda sur la piste d’essai ultramoderne de Fiorano. Dans le même temps, Forghieri achevait en secret la future monoplace sur laquelle il planchait depuis deux ans, la 312 T : alors que la B3/B4 n’était qu’une suite de déclinaisons d’une voiture ratée à la base, la T était totalement nouvelle. Et surtout possédait un atout de taille, enfin… façon de parler : une boîte de vitesses très compacte installée en position transversale pour réduire le moment d’inertie polaire. Grâce un petit couple conique réduisant sa vitesse de rotation, cette boîte proposait un rendement mécanique supérieur de 3 à 4% (selon Forghieri) à une boîte normale. Elle fut présentée fin 1974 à Maranello, mais alignée en course seulement lors du troisième Grand Prix 1975 (une tradition qui sera perpétuée jusqu’en 1979) en Afrique du Sud.

Gloire et tragédie !

Lauda et la 312 T au Grand Prix de Belgique 1975 © DR

Cette 312 T exceptionnelle réussit avec brio ce que la B3/B4 avait manqué de peu l’an passé : ramener les titres pilote et constructeurs à Maranello, onze ans après John Surtees et la 158 aero ! Et son succès, elle le devait en grande partie à cette large carrosserie à forte déportance qu’aucune de ses concurrentes ne possédait (à l’exception peut-être de la Brabham BT44), à sa ligne fluide et à cette boîte transversale. Mais par-dessus tout, la combinaison Lauda-312 T fut redoutable ! Forghieri découvrit, lui, un « jeune pilote travailleur et excellent metteur au point » qui lui apportait un retour essentiel, comme il n’en avait jamais eu. Le nouveau champion du monde était parti pour vraisemblablement doubler la mise en 1976 avec la T2 répondant au nouveau règlement sur l’aérodynamique (suppression des « boîtes à air-cheminées ») lorsqu’il eut son accident historique au Nürburgring. Dès lors, cette 312 T2 ne fut plus que l’ombre de la voiture triomphante de la première partie de saison.

La 312 T2 tirait sa force de ses dimensions plus restreintes que celles de la T, tant en empattement qu’en voies, qui la rendait plus vive et plus maniable. A la mi-saison, soit juste avant ce fatidique Grand Prix d’Allemagne, Goodyear fournit des gommes que la Scuderia n’eut pas le temps de tester. C’est la raison la plus probable de la sortie de route de Lauda : une rupture de suspension due à un problème pneumatique. Quoi qu’il en soit, la T2 ne gagna plus, Lauda perdit sa couronne au profit de Hunt, seul le titre constructeur fut maintenu à Maranello grâce à la grosse avance prise lors de la première moitié de saison. Mais dès lors, l’atmosphère dans l’honorable maison va devenir très lourde. C’est dans ce contexte troublé qu’apparut en 1977 la 312 T2 « nouvelle version ».

Lauda sur la 312 T2 au Grand Prix d’Italie 1976 © Hoch Zwei

Envers et contre tout

A l’époque, les gens ne saisirent pas réellement à quel point les sacres de Lauda et Ferrari en 1977 valait bien plus que les commentaires peu amènes qui les avaient accompagnés alors. On n’avait vu qu’une voiture dominée par la flamboyante nouvelle Lotus 78 à effet de sol, avec à son volant un « ordinateur » obtenant son titre grâce à des calculs d’épicier de bas étage. C’était oublier un peu vite d’où l’un et l’autre venaient.

La 312 T2 et sa large surface au sol à Silverstone en 1977 © DR

Rescapé de sa terrible saison 1976 (voir « Lauda champion toutes catégories » https://www.classiccourses.fr/2015/10/lauda-champion-toutes-categories-2/), Niki Lauda pris la mesure de sa semi-disgrâce à son retour à Maranello début 1977 : (selon lui) le « Vieux » lui en voulait d’être revenu à la course pas complètement remis et, pour faire court, le rétrograda au rang de pilote n°2 derrière le nouveau venu Carlos Reutemann. Même si dans ses mémoires il avoue en avoir été vexé, Lauda s’en fichait : il savait au fond de lui que c’était sur la piste qu’on verrait qui serait 1 et qui serait 2 ! Il fallait surtout s’occuper de la nouvelle version de la T2 qui posait bien des problèmes. Reutemann avait bien gagné avec le modèle 76 le Grand Prix du Brésil grâce (en partie) à une hécatombe ayant frappé les principaux acteurs (seules 7 voitures à l’arrivée), mais il était évident que l’aileron arrière ne donnait pas entière satisfaction sur la nouvelle version qui devait apparaître à Kyalami pour la troisième manche du championnat. Niki réussit à obtenir de Ferrari de mener toute une batterie d’essais sur la piste de Kyalami un mois avant l’épreuve sud-africaine, essais qui portèrent sur l’aérodynamique de la voiture et sur la suspension arrière. La victoire magistrale obtenue dans des conditions dramatiques (4) fut saluée comme le grand retour du champion : Lauda venait de démontrer qu’il n’était pas fini et que Ferrari était de retour aux affaires.

Lauda en route vers la victoire sur sa T2 au Grand Prix d’Afrique du Sud 1977 © DR

Esthétiquement et structurellement, la T2 de 77 ressemblait beaucoup à celle de 76, si ce n’est des prises d’air moteur réduites sur le capot avant et un capot arrière plus creusé pour autoriser un meilleur flux d’air vers l’aileron arrière. Intrinsèquement, cette T2 allait se révéler une excellente monoplace. Mais pas la plus rapide, face à la Lotus 78 à effet de sol, la McLaren M26 et la nouvelle Wolf notamment. Alors que la T et la T2 (version 76) collectionnèrent les pole positions, la T2 cette année n’en décrocha que deux, Lauda  et Reutemann étant souvent à la peine lors des qualifications. Jusqu’à présent aveuglément confiants en la puissance supérieure de leur Flat 12 face à la concurrence (5), les techniciens de la Scuderia, Forghieri en tête, prirent réellement conscience de l’importance de l’aérodynamique en observant la Lotus hyper-rapide. Et c’est ce qui guida leurs recherches tout au long de cette saison éprouvante.

Si la T et la T2 version 76 n’avaient guère évolué en cours de saison, il en alla différemment pour la T2 de 1977 sur laquelle furent testés de nombreux appendices aérodynamiques censés procurer un meilleur grip. Mais comme la voiture n’était de toute façon pas conçue comme une voiture à effet de sol (6), toutes ces modifications ne furent que de très peu d’utilité. La seule modification notable sur cette T2 fut le repositionnement lors du Grand Prix de Hollande des radiateurs avant de chaque côté du cockpit avec une sortie désormais sur le dessus (et non sur les côtés), ce qui amena un surplus de déportance. Bref, tout fut beaucoup plus compliqué cette année, mais en matière de réflexion pour tirer le meilleur parti de ce dont on dispose, Lauda se montra le plus performant.

« Ma cosa vuoi da me » ? La communication fut parfois difficile entre Lauda et Forghieri en 1977 © DR

Il sut profiter de l’exceptionnelle fiabilité de sa monture (12 arrivées dans les points sur 14 départs !), là où ses adversaires Andretti et Scheckter fonctionnaient en mode ON/OFF. Et surtout engranger des points précieux quand il voyait qu’il ne pourrait rien faire face à la fusée Lotus où la brillante Wolf quand elles étaient au point, ce qui n’était pas toujours le cas. Ce qui lui fut évidemment reproché par une partie du public. Mais au final, ce fut lui le champion et ça, ça ne se discute pas. Ajouté à tous ces problèmes, il dut se battre contre un environnement hostile dans sa propre écurie : Reutemann le coéquipier avec qui le courant ne passait pas, Nosetto le nouveau – et très critiqué – directeur sportif, Forghieri qui lui reprochait de plus s’intéresser à son avion qu’à sa voiture, et bien évidemment Ferrari lui-même. Une fois son titre assuré par une modeste 4e place aux Etats-Unis, Lauda régla ses comptes : il prétexta un problème physique pour ne pas disputer les deux derniers Grands Prix (Canada et Japon) et laissa son baquet au jeune Gilles Villeneuve qui allait très vite devenir la vedette adulée que l’on sait.

Même si elle n’incarna pas la vitesse pure, cette 312 T2 fut toujours aux avant-postes de la bagarre, grâce à un champion qui sut en extraire tout le potentiel. En plus de l’Afrique du Sud, Lauda enleva les Grands Prix d’Allemagne et de Hollande et monta sur le podium à dix reprises, Reutemann glanant, pour sa part, six podiums dont une victoire ! La Ferrari restait fiable et son douze-cylindres puissant et solide. Elle manquait juste d’un surcroît de vitesse par rapport à ce nouveau concept d’effet de sol incarné par la Lotus, mais elle fut – et reste – une des Ferrari les plus performantes de l’Histoire de la Scuderia.

Grand Prix de Hollande 1977, Lauda mène devant Andretti et Reutemann © DR

Notes

(1) Il est intéressant de noter qu’on retrouvera sur les futures Lotus à effet de sol de 1977 cette notion de déportance et de dépression arrière créée par une large surface au sol. Chapman y ajoutera sa trouvaille des pontons creux en profil d’aile inversée bordés de jupes hermétiques pour accroître l’adhérence.

(2) Selon Forghieri, c’était un journaliste anglais qui avait trouvé le surnom de la voiture : snowboard, qui devint spazza neve en italien.

(3) La débâcle fut telle avec cette 312 B3 « Thompson » inefficace que Jacky Ickx, le pilote n°1, claqua gentiment la porte à mi-saison et que Ferrari trouva un prétexte fallacieux pour ne pas aligner de voitures aux Grands Prix de Hollande et d’Allemagne !

(4) En tête devant Jody Scheckter sur sa Wolf, Lauda roula sur l’arceau de sécurité de la Shadow du malheureux Tom Pryce (tué dans la collision avec un commissaire qui traversait imprudemment la piste). La pièce dérégla l’aileron avant de la Ferrari, provoquant un fort sous-virage, et perça le réservoir d’huile. Lauda adapta son pilotage à ces nouveaux paramètres pour contrer un Scheckter pressant, au volant d’une voiture déréglée qui pissait de l’huile tant et mieux.

(5) Le Flat 12 Ferrari développait 520 ch à 12500 t/m là où un Cosworth bien préparé envoyait 470 ch à 10700 t/m.

(6) Forghieri était bien décidé à concevoir une T3 à effet de sol pour 1978, mais Ferrari le lui interdit, arguant que la Lotus 78 serait déclarée illégale. Dans le courant de la saison 1978, devant l’incontestable supériorité de la Lotus 79 le « Drake » fut bien obligé de reconnaître son erreur et Forghieri se mit à plancher sur la future T4 en vue de 1979, première Ferrari à effet de sol.

Illustration Ferrari 312 T2 © Pierre Ménard

 

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