3 janvier 2017

Monsanto 1959 : Moss plane au-dessus de Lisbonne

Monsanto. Voilà un nom qui évoque spontanément des notions peu folichonnes : produits chimiques, herbicides, pollution des sols, scandales sanitaires, manipulation et marchandisation du vivant, … Mais Monsanto c’est aussi une colline surplombant Lisbonne et le Tage, avec un magnifique parc public de 1 000 ha (10 % de la surface de la ville) où les citadins en mal de fraîcheur et d’air pur viennent s’oxygéner au milieu des chênes, pins et eucalyptus.

Olivier Favre

https://www.youtube.com/watch?v=s9snYLnr-Pw

Occupée par les humains depuis la préhistoire, cette colline a été consacrée par les druides du cru, d’où son nom, Monsanto, contraction de « Monte Santo », la sainte montagne. Une montagne encore plus sacrée à partir du XVIIIe siècle quand un aqueduc y fut construit pour alimenter Lisbonne en eau potable. Le Parque florestal de Monsanto est quant à lui nettement plus récent. En effet, jusque dans les années 1930 Monsanto était une colline pelée aux sols épuisés par une agriculture intensive initiée dès l’Antiquité par les Romains, qui en avaient fait le grenier à blé de Lisbonne.Monsanto-années 30

Mais le régime autoritaire mis en place en 1933 par Antonio de Oliveira Salazar, l’Estado Novo (Etat Nouveau) décide d’offrir aux Lisboètes un grand site naturel pour s’y aérer et y pratiquer diverses activités sportives et culturelles. Le reboisement du site est donc lancé en 1938, alors que les voies d’accès et les équipements seront définis quelques années plus tard par l’architecte Francisco Keil do Amaral.

Le Portugal arrive

Affiche GP Portugal 54Bon, et le sport auto dans tout cela ? On y arrive, on y arrive … Au début des années 50, le Portugal veut faire entendre sa voix dans le concert international du sport automobile. Faute de circuit permanent, on utilise les routes existantes et c’est ainsi que sont organisées des courses de voitures sport à Porto (circuit de Boavista) et à Monsanto. Et ce n’est pas tout à fait une première pour la sainte colline puisqu’une course de côte y eut lieu en trois occasions entre 1910 et 1922.Affiche GP Portugal 59

Nommées soit GP du Portugal, soit GP de Lisbonne, quatre courses sont organisées à Monsanto de 1953 à 1957 et, après la victoire inaugurale du local Nogueira Pinto (Ferrari) la première année, la liste des vainqueurs est tout à fait respectable : Froilan Gonzalez sur Ferrari 250 MM en 1954, Masten Gregory en 1955 sur Ferrari Monza et, après une année blanche, Fangio himself en 1957 au volant d’une Maserati 300 S.

Mais les Portugais veulent plus et l’Automobile Club du Portugal (ACP) entend profiter de l’ouverture du championnat du monde de F1 à de nouveaux pays et circuits (Pescara, Casablanca, Sebring) en cette fin des fifties. C’est chose faite en 1958, Porto et le tracé de Boavista ayant le privilège d’accueillir le premier GP du Portugal de F1. Puis, en vertu de l’alternance, c’est Monsanto qui est retenu pour 1959.

La course

Moss-Cooper

D’un développé de 5,4 km, le circuit de Monsanto est très rapide avec ses virages amples et sa ligne droite de près d’un km, qui n’est autre qu’une portion de l’autoroute Lisbonne-Cascais. Mais il est aussi particulièrement dangereux avec son revêtement inégal et bosselé (incluant des pavés et des rails de tramway !) et son tracé urbain incluant tout ce qu’on peut trouver comme « obstacles » naturels (arbres) ou artificiels (maisons, panneaux, poteaux téléphoniques).

Pour ce 2e GP du Portugal de F1, sixième manche du championnat 1959, seize pilotes sont engagés, dont trois seulement (Moss, Gregory et Phil Hill) ont déjà roulé sur ce circuit. Cooper-MossEt très vite Moss (Cooper Rob Walker) se positionne comme l’homme à battre en signant la pole avec 2 secondes d’avance sur le 2e, Brabham. Les Cooper se montrent d’ailleurs particulièrement à l’aise ici puisque Gregory et Trintignant suivent Moss et le leader du championnat. Chez Ferrari en revanche, grosse déception pour Brooks, Hill et Gurney, qui pensaient faire parler leur puissance supérieure : leurs Dino n’apprécient pas du tout le profil du circuit et affichent une tenue de route précaire. Brooks est ainsi relégué en 4e ligne, à plus de 6 secondes de Brabham, son concurrent pour le titre. Les Aston MartinThe Portuguese Grand Prix; Monsanto, August 23, 1959. These are the two Aston Martin DBR4s to be driven by Carroll Shelby and Roy Salvadori. Both cars finished, but the Aston design was at least three years too late and it showed. (Photo by Klemantaski Collection/Getty Images) de Salvadori et Shelby, récents vainqueurs au Mans, sont encore plus loin, devant un jeune débutant qui est parvenu à se qualifier honorablement, laissant derrière lui les Lotus de Graham Hill et Innes Ireland : engagé au volant d’une Cooper-Maserati de la Scuderia Centro-Sud, Mario de Araujo Cabral est à 25 ans le premier pilote portugais au départ d’un Grand Prix de championnat.

Le dimanche, le départ de la course (62 tours, soit 336 km) est programmé à 17 h pour éviter la chaleur de ce 23 août. Dès le baisser du drapeau, Moss part en tête et s’applique à tuer tout suspense. Survolant la course avec sa voiture bleu nuit, il s’adjuge le meilleur tour et relègue tous ses poursuivants à plus d’un tour. Moss vainqueurLes spectateurs doivent donc reporter leur attention sur ses poursuivants, qui se signalent par deux accidents. D’abord une collision entre les deux Hill, Graham et Phil, puis surtout un accident qui aurait pu avoir de tragiques conséquences : Jack Brabham, alors 2e, entreprend de prendre un tour au débutant Cabral mais un malentendu entre les deux hommes envoie la Cooper dans les bottes de paille puis dans un poteau téléphonique. La cabriole éjecte Brabham et le fait « rouler-bouler » au sol devant Masten Gregory qui l’évite de justesse. L’Australien s’en tire avec quelques contusions, sa bonne étoile veillait ce jour-là. D’autant plus que Brooks ne lui reprend aucun point au championnat, après avoir raté son départ et s’être traîné en queue de peloton avec un moteur asthmatique. Tout se jouera donc dans les deux derniers Grands Prix, à Monza puis, après une pause de trois mois ( ! ), à Sebring.

Dix ans de survie

Montes Claros 68Monsanto était un circuit non permanent, qui nécessitait donc de gros efforts logistiques et financiers pour y organiser des courses. En outre, l’expansion du trafic automobile rendait de moins en moins envisageable de couper une portion d’autoroute durant tout un week-end.

Aussi, en 1960, alors que la F1 retourne à Porto pour la 2e et dernière fois, la ville de Lisbonne et l’ACP abandonnent le circuit. Réunis au sein d’un club local (le Club des 100 à l’heure), des enthousiastes décident cependant de pérenniser les compétitions sur le site en amputant le circuit de sa portion d’autoroute. Réduit à 2,7 km, le tracé s’appelle désormais Montes Claros et commence à partir de 1962 à accueillir des épreuves nationales de voitures de sport, formules de promotion et motos. Mais le club a peu de moyens, le tracé urbain et peu entretenu du circuit est de plus en plus inadapté à la vitesse croissante des voitures (un pilote anglais de F3, Tim Cash, y perd d’ailleurs la vie en 1967) et, fort logiquement, l’aventure se termine au bout de 10 ans.

On trouve de tout à Monsanto

Heureusement pour les « fanatiques » portugais, la relève sera alors assurée par le circuit permanent d’Estoril, situé au bord de l’Atlantique à une trentaine de km à l’ouest de Lisbonne. Inauguré en juin 1972, il leur permettra de revoir des courses de niveau international, d’abord de F2 dès 1973, puis un cran au-dessus en 1984 lorsque la F1 reviendra enfin au Portugal, 24 ans après.

Parc MonsantoQuant au Parque florestal de Monsanto, c’est toujours aujourd’hui une oasis de nature où évolue un écosystème très riche. En effet, la proximité de la mer favorise une grande diversité de la faune et de la flore. A propos de faune, la colline de Monsanto est aussi, surtout la nuit, le lieu de commerces interlopes tels le trafic de drogues et la prostitution. Et si certains délinquants se font prendre, ils ne vont pas forcément très loin ; car on trouve aussi à Monsanto une prison de haute sécurité, aménagée dans un ancien fort militaire. Là, des pensionnaires peuvent à l’occasion rendre service à leurs concitoyens. En effet, la prison abrite un chenil où pour 10 € par jour des prisonniers modèles en voie de réinsertion s’occupent de votre chien pendant vos vacances.

Toutes photos © DR sauf :

  • La Cooper à la pompe : Edwards Eves/Revs Digital Library
  • Aston Martin n°10 : Klementaski/Getty Images
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