11 novembre 2016

Leonard Cohen

Très exceptionnellement parce que nous pensons que c’est un très grand poète qui vient de nous quitter. Très exceptionnellement parce que  nous sommes le 11 novembre et qu’un peu de douceur ne peut nuire.  Très exceptionnellement parce que c’est un très bel article.

Michèle Turco nous livre une histoire vraie qui pourrait passer pour une nouvelle. Rien à voir avec l’indice d’octane. Mais vous étiez prévenus, ça arriverait de temps en temps.

Classic Courses

Confidence et partage

Leonard cohen cc2

Nous avions fait le trajet à 4, en 2 cv depuis Lille ; arrivés à Cergy-Pontoise, nous avions retrouvé nos amis étudiants qui nous logeaient pour le weekend ; c’était en 1979, je crois bien.
Dans la voiture, nous avions répété toutes ses chansons ; les cassettes dans le lecteur de cassettes embarqué chauffaient à force d’être tournées et retournées ; le son n’était pas très bon, c’est vrai, mais cela suffisait pour s’approprier les textes.

Nous étions heureux, joyeux et graves à la fois.
Le timbre de sa voix, la poésie parfois gutturale de ses textes, le rythme de ses mélodies, les instruments et chœurs qui l’accompagnaient ou pas, tout ceci créait une ambiance indéfinissable d’extrême plaisir mais aussi de lucidité authentique.
Il n’y avait pas de légèreté dans ses textes – les choses étaient dites, exprimées avec des mots choisis.
Comme s’il avait voulu nous alerter, tout en nous protégeant grâce à sa poésie rythmée.

Nous nous sommes dépêchés de poser nos sacs en vrac dans le petit studio. Nous avons enfilé nos manteaux car le temps était glacial et nous nous sommes précipités dans les escaliers en descendant 4 à 4 les marches avec grand bruit, pour aller nous régaler de ce concert ; nous voulions que tout le monde le sache ! ce concert était unique et nous en serions !
Le BDE (Bureau des élèves) de l’ESSEC avait bien fait les choses – déjà !

Quelques gouttes de pluie mêlées à de la neige tombaient sur le grand parking sombre – je n’avais pas froid, j’étais surexcitée – tu étais là et me réchauffais et cela m’emplissait de bien-être.
Avec nos amis, nous avons franchi les portes de cet amphi majestueux, théâtre à l’habitude de cours très doctoraux, de conférences économiques très sérieuses, de sessions d’examens et contrôles continus…L’ambiance était toute autre…ce soir-là.

La scène était encore dans l’obscurité, mais on devinait un piano à queue.
Nous sommes montés et avons trouvé nos places à mi-hauteur de l’amphi en plein milieu ; une visibilité maximum, une écoute optimale d’après Simon (nom d’emprunt de l’organisateur) du BDE ; on était très gâtés !

Quelques minutes de conversations à bâtons rompus avec des voisins que nous découvrons…des petits « hey » et « coucou » de loin à des amis que nous revoyons pour l’occasion ; puis les lumières se sont tamisées dans la grande salle – la musique s’est faite plus douce et peu à peu l’éclairage s’est porté sur la scène…encore vide.

Le silence s’est propagé dans la salle ; nous étions comme suspendus, dans l’attente du héros de la soirée… puis un projecteur a bougé, accompagnant une ombre chapeautée qui marchait tranquillement vers le centre de la scène, pour finalement s’arrêter là, face à nous ; il a relevé sa tête un peu baissée, repoussé son chapeau du bout des doigts et nous a regardés droit dans les yeux : bonjour l’ESSEC !!
Bonsoir Monsieur Léonard Cohen…

Je me souviens de l’effervescence du public, de la joie authentique de tous ces étudiants qui étaient présents en demande d’émotions, de textes, de témoignages de notre époque, de beauté pure et sincère. Nous étions gourmands de tout ça ; nous en voulions, encore et encore, jamais rassasiés, toujours capricieux, un brin rebelles mais toujours respectueux.

J’ai saisi la main de mon amoureux, ou même son avant-bras, je crois…si mes ongles avaient été plus longs, je lui aurais transpercé la peau, tellement j’ai serré fort ; j’étais au comble de l’émotion et mon cœur explosait dans un espace devenu trop étriqué, celui de mon corps ; je débordais d’émotion – mes yeux pleins de larmes, ma peau hypersensible, mon corps traversé de frissons électriques ; j’aurais voulu crier ma joie mais ma bouche était tétanisée dans l’attente de sa première chanson…

Les premières notes, le chœur et sa voix ; le charme agissait – il enchaînait toutes ses chansons les plus connues et nous participions de plus en plus – cette osmose, ce « chanter ensemble » en harmonie et à l’unisson, ces mots qui signifiaient quelque chose, je ne sais pas si c’était parce que j’étais avec mon amoureux du moment, mais l’intensité de la soirée m’a semblée unique, uniquement grande. Plusieurs rappels bien-sûr mais il faut savoir aussi que le show s’arrête à un moment… à notre grand regret.

Nous sommes restés tous ensemble dans l’amphi encore 5 ou 6 minutes ; nous ne parvenions pas à nous séparer ; comme si nous venions de vivre quelque chose qui désormais nous avait tous soudés, et nous faisait faire bloc, pour nous sentir plus forts. Nous étions conscients d’avoir été des privilégiés – merci aux responsables du BDE d’avoir organisé cette soirée privée avec Monsieur Léonard Cohen… merci à vous !

Voilà c’était exactement ce que je pensais à ce moment précis – moment précis où Simon, le principal organisateur, m’a tirée avec force par la manche pour m’inviter à le suivre… comme hypnotisée, guidée par mon intuition, je l’ai suivi jusque que dans la pièce de l’arrière qui servait de loge… j’étais en train de comprendre…trop tard pour reculer ; trop tard pour réfléchir, trop tard pour argumenter, trop tard pour me défiler…3 petits coups à la porte et nous sommes entrés…Simon me poussa littéralement à l’intérieur de la pièce et me dit : « tu en rêvais – alors voilà c’est maintenant ou jamais ! » et en marchant à reculons il rajouta à destination de Léonard Cohen : « Léonard, je vous présente Michèle, mon amie – elle m’a promis un baiser si vous acceptiez de la rencontrer – alors je vous laisse avec elle… mais ne la gardez pas trop longtemps…j’attends mon baiser … ».

Voilà comment j’ai eu l’opportunité chanceuse de partager 10 minutes avec ce grand poète musicien, témoin de son temps, empli d’émotions simples et complexes mais surtout porteur d’une voix unique avec une signature si particulière que je crois être restée presqu’en apnée pendant toute la rencontre.
Il m’a priée de m’ asseoir en face de lui et m’a observée quelques secondes – puis j’ai eu le courage d’engager la conversation, et même si j’étais très émue et timide, il a su me mettre en confiance.

Nous avons parlé musique, famille, histoire, jeunesse, avenir, amour…j’avais 21 ans ; il voulait tout savoir – il me disait s’inspirer de ses observations quotidiennes pour donner naissance à ses textes et mélodies, de façon plus ou moins douloureuse.
La notion de travail et de plaisir mêlé était récurrente dans ses réponses ; plusieurs fois j’ai vu son œil tressaillir ou s’embrumer, sa bouche entamer une petite grimace puis sourire, ses joues se figer ou rosir…cet homme était un humain, à n’en pas douter. Il ressentait la vie par tous ses sens…c’était donc cela être un artiste !

Je n’ai pas voulu abuser de son temps et mon éducation me rappela à l’ordre alors qu’une petite voix intérieure me disait : fait durer encore, encore…
J’ai pris congé en le remerciant infiniment de ce partage, de son écoute réelle et de toutes les émotions qu’il m’avait données… et alors que j’allais lui serrer la main avec chaleur, il m’ attira contre lui, doucement mais sûrement, comme un aimant et me serra fort contre lui pendant de longues secondes et avant de me laisser aller il me chuchota à l’oreille « promettez-moi de toujours aimer »… « je vous promets …. » lui ai-je répondu presque instantanément.

J’ai regagné la porte et avant de quitter la pièce je me suis retournée une dernière fois. Il était toujours debout à m’observer et son regard était empli d’amour et de bienveillance – même si une lueur de tristesse semblait aussi poindre. Je lui ai souri et lui ai dessiné avec mes lèvres, mais sans le son, un « je vous aime » ! et il s’est retourné en souriant. J’ai refermé la porte, le cœur terriblement serré.

Merci Monsieur Léonard Cohen! Créez-vous de beaux souvenirs là-haut…aussi beaux que ceux que vous nous avez procurés ici bas. Et…à bientôt le plaisir d’être de nouveau étreinte par vous.

Michèle Turco

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